La San-Felice, Tome I | Page 9

Alexandre Dumas, père
laissait tomber une
perle, et à chaque sourire un diamant, semblait un inépuisable écrin de
baisers d'amour. Faisant contraste avec la parure toute royale de
Marie-Caroline, elle était vêtue d'une longue et simple tunique de
cachemire blanc à larges manches, échancrée à la grecque dans sa
partie supérieure, serrée et plissée à la taille, libre de toute autre étreinte,
par une ceinture de maroquin rouge, brodée d'or, incrustée de rubis,
d'opales, de turquoises, et s'agrafant par un splendide camée
représentant le portrait de sir William Hamilton; elle s'enveloppait
comme d'un manteau d'un large châle indien, aux couleurs changeantes
et à fleurs d'or, qui plus d'une fois, dans les soirées intimes de la reine,
lui avait servi à danser ce pas du châle qu'elle avait inventé et dont
jamais danseuse ni ballerine ne purent atteindre la voluptueuse et
magique perfection.
Plus tard, nous trouverons moyen de mettre sous les yeux de nos
lecteurs l'étrange passé de cette femme, à laquelle, dans ce chapitre tout
d'introduction descriptive, nous ne pouvons donner, quelque place
qu'elle tienne dans l'histoire que nous allons raconter, qu'un coup d'oeil
rapide et qu'une fugitive attention.
Le troisième groupe, qui faisait pendant à celui-ci et qui se trouvait à la
droite de celui du roi, se composait de quatre personnes, c'est-à-dire de
deux hommes d'âge différent qui causaient science et économie
politique, et d'une jeune femme, pâle, triste et rêveuse, berçant dans ses
bras et serrant contre son coeur un enfant de quelques mois.
Une cinquième personne, qui n'était autre que la nourrice de l'enfant,
grosse et fraîche paysanne portant le costume des femmes d'Aversa, se
dissimulait dans la pénombre, où étincelaient, malgré elle, les broderies
de son corsage passementé d'or.
Le plus jeune des deux hommes, à peine âgé de vingt-deux ans, aux
cheveux blonds, au menton encore imberbe, à la taille épaissie par une
obésité précoce, que le poison devait changer plus tard en maigreur

cadavérique, vêtu d'un habit bleu de ciel, brodé d'or et surchargé de
cordons et de plaques, était le fils aîné du roi et de la reine
Marie-Caroline, l'héritier présomptif de la couronne, François, duc de
Calabre. Né avec un caractère timide et doux, il avait été effrayé des
violences réactionnaires de la reine, s'était jeté dans la littérature et les
sciences, et ne demandait rien autre chose que de rester en dehors de la
machine politique, par les rouages de laquelle il craignait d'être brisé.
Celui avec lequel il s'entretenait était un homme grave et froid, âgé de
cinquante à cinquante-deux ans, qui était, non pas précisément un
savant, comme on l'entend en Italie, mais, ce qui vaut parfois beaucoup
mieux, un sachant. Il portait pour toute décoration, sur un habit
très-simplement orné, la croix de Malte, qui exigeait deux cents ans de
noblesse non interrompue: c'était, en effet, un noble Napolitain, nommé
le chevalier de San-Felice, qui était bibliothécaire du prince et chevalier
d'honneur de la princesse.
La princesse, par laquelle nous eussions dû commencer peut-être, était
cette jeune mère, que nous avons indiquée d'un trait, qui, comme si elle
eût deviné qu'elle devait bientôt quitter la terre pour le ciel, pressait son
enfant contre son coeur. Elle aussi, comme sa belle-mère, était
archiduchesse de la hautaine maison de Habsbourg; elle se nommait
Clémentine d'Autriche; elle avait, à quinze ans, quitté Vienne pour
épouser François de Bourbon, et, soit amour laissé là-bas, soit
désillusion trouvée ici, nul, même sa fille, si elle eût été en âge de
comprendre et de parler, n'eût pu raconter l'avoir vue sourire une seule
fois. Fleur du Nord, elle se fanait, à peine ouverte, à l'ardent soleil du
Midi; sa tristesse était un secret dont elle mourait lentement sans se
plaindre ni aux hommes ni à Dieu; elle semblait savoir qu'elle était
condamnée, et, pieuse et pure victime expiatoire, s'était résignée à la
condamnation qu'elle subissait, non point pour ses fautes, mais pour
celles d'autrui; Dieu, qui a l'éternité pour être juste, a de ces
mystérieuses contradictions que ne comprend pas notre justice mortelle
et éphémère.
La fille qu'elle pressait contre son coeur, et qui, depuis quelques mois à
peine, venait d'ouvrir ses yeux à la lumière, était cette seconde

Marie-Caroline, qui peut-être eut les faiblesses, mais non les vices de la
première; ce fut la jeune princesse qui épousa le duc de Berry, que le
poignard de Louvel fit veuve, et qui, seule de la branche aînée des
Bourbons, a laissé en France une mémoire sympathique et un souvenir
chevaleresque.
Et tout ce monde de rois, de princes, de courtisans glissant sur cette
mer d'azur, sous cette tente de pourpre, au son d'une musique
mélodieuse dirigée par le bon Dominique Cimarosa, maître de chapelle
et compositeur de la cour, dépassait tour à tour Resina, Portici,
Torre-del-Greco, et s'avançait dans la nef magnifique, poussée vers le
large par
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