duc joue son rôle avec perfection dans leur
course jusqu'à Naples, tandis que Ferdinand, à qui la peur donnait des
inspirations, s'acquittait de celui du plus soumis des courtisans de
manière à faire penser qu'il n'avait été autre chose toute sa vie.
»Le roi, à la vérité, sut toujours gré au duc d'Ascoli de ce trait peu
ordinaire de dévouement monarchique, et, tant qu'il vécut, il ne cessa
jamais de lui donner des preuves éclatantes de sa faveur; mais, par une
singularité que peut seulement expliquer le caractère de ce prince, il lui
arrivait souvent de persifler le duc sur son dévouement, tandis qu'il se
raillait sur sa propre poltronnerie.
»J'étais un jour en tiers avec ce seigneur chez la duchesse de Floridia,
au moment où le roi vint lui offrir le bras pour la mener dîner. Simple
ami sans importance de la maîtresse du lieu, et me sentant trop honoré
de la présence du nouvel arrivé, je marmottais entre mes dents le
Domine, non sum dignus, et je reculais même de quelques pas, lorsque
la noble dame, tout en donnant un dernier regard à sa toilette, se prit à
faire l'éloge du duc et de son attachement pour la personne de son royal
amant.
»--Il est sans contredit, lui disait-elle, votre ami véritable, le plus
dévoué de vos serviteurs, etc., etc.
»--Oui, oui, donna Lucia, répondit le roi. Aussi demandez à Ascoli quel
est le tour que je lui ai joué quand nous nous sauvâmes d'Albano.
»Et puis il lui rendait compte du changement d'habits et de la manière
dont ils s'étaient acquittés de leurs rôles, et il ajoutait, les larmes aux
yeux et en riant de toute la force de ses poumons:
»--C'était lui le roi! Si nous eussions rencontré les jacobins, il était
pendu, et moi, j'étais sauvé!
»Tout est étrange dans cette histoire: étrange défaite, étrange fuite,
étrange proposition, étrange révélation de ces faits, enfin, devant un
étranger, car tel j'étais pour la cour et surtout pour le roi, auquel je
n'avais parlé qu'une fois ou deux.
»Heureusement pour l'humanité, la chose la moins étrange, c'est le
dévouement de l'honnête courtisan.»
Maintenant, l'esquisse que nous traçons d'un des personnages de notre
livre, personnage à la ressemblance duquel nous craignons que l'on ne
puisse croire, serait incomplète si nous ne voyions ce pulcinella royal
que sous son côté lazzarone; de profil, il est grotesque; mais, de face, il
est terrible.
Voici, traduite textuellement sur l'original, la lettre qu'il écrivait à
Ruffo, vainqueur et près d'entrer à Naples; c'est une liste de
proscriptions dressée à la fois par la haine, par la vengeance et par la
peur:
«Palerme, 1er mai 1799.
«Mon très-éminent,
»Après avoir lu et relu, et pesé avec la plus grande attention le passage
de votre lettre du 1er avril, relatif au plan à arrêter sur le destin des
nombreux criminels tombés ou qui peuvent tomber dans nos mains, soit
dans les provinces, soit lorsque, avec l'aide de Dieu, la capitale sera
rendue à ma domination, je dois d'abord vous annoncer que j'ai trouvé
tout ce que vous me dites à ce sujet plein de sagesse, et illuminé de ces
lumières, de cet esprit et de cet attachement dont vous m'avez donné et
me donnez continuellement des preuves non équivoques.
»Je viens donc vous faire connaître quelles sont mes dispositions.
»Je conviens avec vous qu'il ne faut pas être trop acharné dans nos
recherches, d'autant plus que les mauvais sujets se sont fait si
ouvertement connaître, que l'on peut en fort peu de temps mettre la
main sur les plus pervers.
»Mon intention est donc que les suivantes classes de coupables _soient
arrêtées et dûment gardées_:
»_Tous ceux du gouvernement provisoire et de la commission
exécutive et législative de Naples;_
»_Tous les membres de la commission militaire et de la police formée
par les républicains;_
»_Tous ceux qui ont fait partie des différentes municipalités et qui, en
général, ont reçu une commission de la république ou des Français;_
»_Tous ceux qui ont souscrit à une commission ayant en vue de faire
des recherches sur les prétendues dilapidations et malversations de mon
gouvernement;_
»_Tous les officiers qui étaient à mon service et qui sont passés à celui
de la soi-disant république ou des Français._ Il est bien entendu que,
dans le cas où mes officiers seraient pris les armes à la main contre mes
armées ou contre celles de mes alliés, _ils seront, dans le terme de
vingt-quatre heures, fusillés sans autre forme de procès, ainsi que tous
les barons qui se seront opposés par les armes à mes soldats ou à ceux
de mes alliés_;
»_Tous ceux qui ont fondé des journaux républicains ou imprimé des
proclamations et autres écrits, comme par exemple des ouvrages pour
exciter mes peuples à la révolte et répandre les maximes du nouveau
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