plus de force qu'ici. C'est aux artistes connaissant bien leur art qu'il appartient d'en juger.
Le récit qu'on va lire pourrait sans doute être mis sous une forme qui se rapprocherait davantage de la fa?on moderne de raconter. On pourrait par exempte en éliminer divers détails qui rompent la marche régulière de l'exposition, intervertir certaines choses qui ne paraissent pas être tout à fait à leur véritable place. Entre autres habitudes singulières, les anciens ont celle de rassembler en un même endroit les renseignements sur les personnages qui doivent para?tre ensuite, ce qui ne se fait plus aujourd'hui. Au moyen de remaniements de ce genre, le récit pourrait, dans l'ensemble et dans les différentes parties, recevoir en maint endroit une forme plus correcte. J'ai eu la tentation de lui appliquer ce traitement, mais je ne suis pas allé jusqu'au bout. Je me suis convaincu que le mieux était de conserver la forme primitive pour montrer au lecteur, par une fidèle image, ce que racontaient les anciens, et comment.
Pour aucune traduction je n'ai aussi bien senti que pour celle-ci combien il est difficile non seulement de saisir et de rendre certains mots et certaines tournures, mais en général de reproduire la simplicité, la brièveté, l'énergie et la force qui vivent dans l'original. C'est surtout à l'occasion de cette traduction que j'ai clairement aper?u combien notre langue actuelle est pauvre et insuffisante pour exprimer avec quelque fidélité maintes idées de l'ancienne. Cela tient encore et surtout à la différence des temps. Les langues modernes se sont épandues sur une quantité extraordinaire d'objets; elles sont riches, en ce sens que la matière en est riche. Les anciennes langues au contraire se bornaient à un petit nombre d'objets, et en conséquence déployaient leur richesse et leur souplesse en variant l'expression de ces objets. Je serais heureux, soit dit en passant, si la tentative que j'ai faite pouvait éveiller assez d'intérêt pour engager plus d'un lecteur à chercher dans l'original ce qu'aucune traduction n'est capable de donner.
La présente Saga est particulièrement remarquable à un double point de vue, d'abord comme récit historique et ensuite par les lumières qu'elle nous fournit sur la constitution de la république islandaise et sur la procédure. Nous devons examiner ici ces deux points d'un peu plus près.
Que le récit soit historique, c'est ce dont on ne peut douter. Les personnages qui s'y présentent, les événements qui s'y trouvent décrits, sont réels. Le récit a, par suite, sa chronologie fixe et précise. Le point central de cette chronologie est l'introduction du christianisme en l'an 1000. De ce point fixe le récit remonte en arrière jusqu'au règne d'Erick à la hache sanglante (Blodoxe) et descend environ dix-sept ans. Pour les lecteurs qui voudraient suivre à ce point de vue la représentation des événements j'ajouterai une remarque d'importance capitale. Par Hoskuld et Hrut, le récit se rattache à la Laxd?la Saga. Les chapitres 2 et 7 embrassent environ 6 ans. La septième année tombe dans le chapitre 8, la huitième dans le chapitre 10. Les chapitres 13 et 14 vont de la neuvième à la onzième année. Dans le chapitre 17 finit la quinzième année et le chapitre 21 tombe dans la seizième. Ces années ne peuvent pas être fixées plus précisément, mais si l'on admet que le voyage de Gunnar à l'étranger, au chapitre 29, a été commencé en l'an 976, il revient en 979 (chapitre 32) et les événements postérieurs suivent année par année jusqu'en 985 (chapitre 45), où les trois tings dont il est parlé font quelque difficulté. Il s'agit en effet de savoir si l'auteur a voulu parler du ting général (alting), ou du ting local. Si l'on admet cette dernière supposition, le chapitre 47 commence avec l'an 983, et le récit marche alors régulièrement jusqu'à la mort de Gunnar en 993 (chapitre 75 et suivants). Les fils de Njal voyagent à l'étranger en 992 (chapitre 83) et reviennent chez eux en 998 (chapitre 90). Les négociations de Njal, à l'Alting, pour le mariage de Hoskuld, godi de Hviden?s, tombent en l'an 1003, et le mariage avec Hildigunn s'accomplit en 1005 (chapitre 97). Jusque-là le récit para?t écrit comme un tout ininterrompu, mais les chapitres qui parlent de l'introduction du christianisme (chapitres 99-105) sont interpolés, quoique semblables au reste par le style et la manière de présenter les choses. Ce qui les précède et ce qui les suit se lie ensemble et les deux morceaux ont été séparés l'un de l'autre par cette interpolation sur le christianisme. Celle-ci commence avec l'année 995 (chapitre 100) et finit avec l'an 1000 (chapitres 104-105); seulement, les faits relatifs à Amunde Blinde qui sont rapportés comme survenus trois ans après se produisirent non trois ans après l'introduction du christianisme en l'an 1000 (fin du chapitre 105), mais trois ans après le meurtre de Lyting
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