La Recluse | Page 8

Pierre Zaccone
et il s'en
échappait par instants des effluves ardentes dont on subissait malgré soi
l'impression pénétrante et forte.
-- Dieu a eu pitié de votre situation lamentable, dit enfin Gaston; la
liberté qui va vous être rendue vous permettra de vous livrer à des
recherches qui vous ont été interdites jusqu'à ce jour.
-- J'essaierai, en effet, répondit la jeune femme en remuant tristement la
tête.
-- Au moins, votre père vous laisse-t-il quelque aisance?
Un double éclair s'alluma à cette question dans les yeux de la fille du
capitaine d'armes, et un sourire d'une expression mystérieuse releva le
coin de sa lèvre.
-- Sous ce rapport, dit-elle d'un ton ironique, le hasard aura déjoué les
calculs de mon bourreau.
-- Comment cela?
-- Au moment où il vint habiter le phare, mon père avait réalisé presque
toute sa fortune, qui consistait en vingt mille dollars environ... Je savais
qu'il avait caché cette somme dans une des nombreuses caches que
recèlent les murs épais de la tour, et pendant deux années, sans lui
donner le soupçon de mes préoccupations, j'usai de mille stratagèmes
pour découvrir l'endroit où il avait enfoui son trésor. Il y a huit jours
seulement, et comme sa fin approchait, que je parvins enfin à mon but.
-- Et vous avez cette somme?

-- Il y avait à peine dix minutes qu'il avait cessé de vivre, qu'elle était
en ma possession.
Gaston baissa le front sans répondre.
Décidément, tout ce qu'il voyait ou entendait depuis un moment, le
rejetait dans un monde de sensations excessives, où toutes les lois de la
conscience humaine semblaient être singulièrement méconnues!
Au surplus, on ne lui laissa pas le temps de s'abandonner à des
réflexions ni de discuter ses impressions.
La jeune femme s'était levée, et, à voir l'air de résolution qui se
manifesta sur ses traits, on pouvait croire qu'elle en avait fini avec les
émotions violentes qu'un moment le souvenir du passé avait éveillées
en elle.
-- Maintenant, dit-elle, vous me connaissez tout entière, Monsieur, et
j'espère que vous voudrez bien me rendre le service que j'ai à vous
demander, puisque vous êtes certain que votre intérêt ne s'égarera pas
sur une créature indigne.
-- Qu'attendez-vous de moi? interrogea Gaston, repris de nouveau par
sa curiosité.
-- Peu de chose, en réalité; mais de votre concours dépend peut- être le
succès des recherches auxquelles je vais me livrer.
-- Parlez en toute confiance, et si je puis vous être utile.
-- En premier lieu, continua la jeune femme, vous m'aiderez à abréger
toutes les formalités que je vais avoir à subir au sortir de cette prison! Il
s'agit, d'abord, d'emporter d'ici le corps de mon père, et de le déposer
dans le cimetière du bourg le plus voisin.
-- Cela sera fait comme vous le souhaitez: dans une heure, la chaloupe
viendra prendre le cercueil, et dès demain, il sera enseveli dans le lieu
que vous aurez désigné vous-même. J'ajoute que l'équipage de

l'Atalante l'accompagnera à sa demeure dernière.
-- Merci.
-- Ce n'est pas tout ce que vous désirez?
-- Non, Monsieur.
-- Qu'y a-t-il encore?
La jeune femme parut hésiter une dernière fois; mais elle fit aussitôt un
effort sur elle-même, et leva son regard assuré sur Gaston.
-- Vous êtes jeune, Monsieur, dit-elle d'une voix ferme; pendant les
courts instants que je viens de passer avec vous, j'ai pu m'assurer que
vous êtes sensible et bon, et je me suis persuadé qu'une femme ne
s'adressera pas en vain à votre loyauté.
-- Je ne vous comprends pas.
-- Je vais m'expliquer. Votre temps est précieux, je n'en doute pas, et je
comprends que vous ayez hâte de reprendre la mer.
-- Sans doute.
-- Cependant si je vous priais de ne pas vous éloigner tout de suite, de
m'accorder un jour ou deux, pour m'aider dans certaines démarches que
je ne puis faire seule ou qui, du moins, acquerraient une grande autorité
si je les faisais appuyée à votre bras et recommandée de votre nom.
-- Que voulez-vous dire?
-- Est-ce trop demander à votre courtoisie?
-- Ce n'est malheureusement pas de courtoisie qu'il s'agit, Madame,
mais de mon devoir qui m'oblige à reprendre la mer le plus tôt possible.
-- Alors vous comptez repartir demain.

-- Demain, à l'issue de la cérémonie funèbre.
La jeune femme réprima un mouvement de contrariété, et son regard
plongea dans celui du commandant.
-- Soit! dit-elle d'un ton nerveux, j'espérais mieux, mais je n'insiste pas.
Seulement, dans les délais que vous venez d'indiquer vous-même,
pourrai-je compter sur vous?
-- Assurément.
-- Vous voudrez bien m'accorder votre appui et votre bras?
-- Sans doute.
-- Ce que je vous demande-là, songez-y, Monsieur, je ne puis le
demander à personne autre. Désormais, je suis seule au monde, et si
vous me refusiez...
-- Mais,
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