même à ceux de l'amour, ainsi que l'affirme le poète
Théocrite.
--Tout rôtisseur que je suis, répondit mon père, j'estime le savoir et je
veux bien croire qu'il est, comme dit Votre Grâce, un remède à l'amour.
Mais je ne crois pas qu'il soit un remède à la faim.
--Il n'y est peut-être pas un onguent souverain, répondit l'abbé; mais il y
porte quelque soulagement à la manière d'un baume très doux, quoique
imparfait.
Comme il parlait ainsi, Catherine la dentellière parut au seuil, le bonnet
sur l'oreille et son fichu très chiffonné. A sa vue, ma mère fronça le
sourcil et laissa tomber trois mailles de son tricot.
--Monsieur Ménétrier, dit Catherine à mon père, venez dire un mot aux
sergents du guet. Si vous ne le faites, ils conduiront sans faute frère
Ange en prison. Le bon frère est entré tantôt au Petit Bacchus, où il a
bu deux ou trois pots qu'il n'a point payés, de peur, disait-il, de
manquer à la règle de saint François. Mais le pis de l'affaire est que, me
voyant sous la tonnelle en compagnie, il s'approcha de moi pour
m'apprendre certaine oraison nouvelle. Je lui dis que ce n'était pas le
moment, et, comme il devenait pressant, le coutelier boiteux, qui se
trouvait tout à côté de moi, le tira très fort par la barbe. Alors, frère
Ange se jeta sur le coutelier, qui roula à terre, emportant la table et les
brocs. Le cabaretier accourut au bruit et, voyant la table culbutée, le vin
répandu et frère Ange, un pied sur la tête du coutelier, brandissant un
escabeau dont il frappait tous ceux qui l'approchaient, ce méchant hôte
jura comme un diable et s'en fut appeler la garde. Monsieur Ménétrier,
venez sans tarder, venez tirer le petit frère de la main des sergents. C'est
un saint homme et il est excusable dans cette affaire.
Mon père était enclin à faire plaisir à Catherine. Mais cette fois les
paroles de la dentellière n'eurent point l'effet qu'elle en attendait. Il
répondit net qu'il ne trouvait pas d'excuse à ce capucin et qu'il lui
souhaitait une bonne pénitence au pain et à l'eau, au plus noir cul de
basse-fosse du couvent dont il était l'opprobre et la honte.
Il s'échauffait en parlant:
--Un ivrogne et un débauché à qui je donne tous les jours du bon vin et
de bons morceaux et qui s'en va au cabaret lutiner des guilledines assez
abandonnées pour préférer la société d'un coutelier ambulant et d'un
capucin à celle des honnêtes marchands jurés du quartier! Fi! fi!
Il s'arrêta court à cet endroit de ses invectives et regarda à la dérobée
ma mère qui, debout et droite contre l'escalier, poussait à petits coups
secs l'aiguille à tricoter.
Catherine, surprise par ce mauvais accueil, dit sèchement:
--Ainsi, vous ne voulez pas dire une bonne parole au cabaretier et aux
sergents?
--Je leur dirai, si vous voulez, qu'ils emmènent le coutelier avec le
capucin.
--Mais, fit-elle en riant, le coutelier est votre ami.
--Moins mon ami que le vôtre, dit mon père irrité. Un gueux qui tire la
bricole et va clochant!
--Oh! pour cela s'écria-t-elle, c'est bien vrai qu'il cloche. Il cloche, il
cloche, il cloche!
Et elle sortit de la rôtisserie, en éclatant de rire.
Mon père, se tournant alors vers l'abbé, qui grattait un os avec son
couteau:
--C'est comme j'ai l'honneur de le dire à Votre Grâce: chaque leçon de
lecture et d'écriture que ce capucin donne à mon enfant, je la paie d'un
gobelet de vin et d'un fin morceau, lièvre, lapin, oie, voire géline ou
chapon. C'est un ivrogne et un débauché!
--N'en doutez point, répondit l'abbé.
--Mais s'il ose jamais mettre le pied sur mon seuil, je le chasserai à
grands coups de balai.
--Ce sera bien fait, dit l'abbé. Ce capucin est un âne, et il enseignait à
votre fils bien moins à parler qu'à braire. Vous ferez sagement de jeter
au feu cette Vie de sainte Catherine, cette prière pour les engelures et
cette histoire de loup-garou, dont le frocard empoisonnait l'esprit de
votre fils. Au prix où frère Ange donnait ses leçons, je donnerai les
miennes; j'enseignerai à cet enfant le latin et le grec, et même le
français, que Voiture et Balzac ont porté à sa perfection. Ainsi, par une
fortune doublement singulière et favorable, ce Jacquot Tournebroche
deviendra savant et je mangerai tous les jours.
--Topez là! dit mon père. Barbe, apportez deux gobelets. Il n'y a point
d'affaire conclue quand les parties n'ont pas trinqué en signe d'accord.
Nous boirons ici. Je ne veux de ma vie remettre le pied au Petit
Bacchus, tant ce coutelier et ce moine m'inspirent d'éloignement.
L'abbé se leva, et, les mains posées sur le dossier de sa chaise, dit d'un
ton lent et
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