con?us un violent dépit, et dans l'ardeur de me venger, je fis savoir aux régents du collège que je n'allais plus à la _Bible d'or_, de peur d'y voir des spectacles propres à offenser la modestie d'un jeune ecclésiastique. A vrai dire, je n'eus pas à me féliciter de cet artifice. Car madame Pigoreau, apprenant comme j'en usais à son égard, publia que je lui avais volé des manchettes et un rabat de dentelle. Ses fausses plaintes allèrent aux oreilles des régents qui firent fouiller mon coffre et y trouvèrent la parure, qui était d'un assez grand prix. Ils me chassèrent, et c'est ainsi que j'éprouvai, à l'exemple d'Hippolyte et de Bellérophon, la ruse et la méchanceté des femmes. Me trouvant dans la rue avec mes hardes et mes cahiers d'éloquence, j'étais en grand risque d'y mourir de faim, lorsque, laissant le petit collet, je me recommandai à un seigneur huguenot, qui me prit pour secrétaire et me dicta des libelles sur la religion.
--Ah! pour cela! s'écria mon père, c'était mal à vous, monsieur l'abbé. Un honnête homme ne doit pas prêter la main à ces abominations. Et, pour ma part, bien qu'ignorant et de condition mécanique, je ne puis sentir la vache à Colas.
--Vous avez raison, mon h?te, reprit l'abbé. Cet endroit est le plus mauvais de ma vie. C'est celui qui me donne le plus de repentir. Mais mon homme était calviniste. Il ne m'employait qu'à écrire contre les luthériens et les sociniens, qu'il ne pouvait souffrir, et je vous assure qu'il m'obligea à traiter ces hérétiques plus durement qu'on ne le fit jamais en Sorbonne.
--Amen, dit mon père. Les agneaux paissent en paix, tandis que les loups se dévorent entre eux.
L'abbé poursuivit son récit:
--Au reste, dit-il, je ne demeurai pas longtemps chez ce seigneur, qui faisait plus de cas des lettres d'Ulric de Hutten que des harangues de Démosthène et chez qui on ne buvait que de l'eau. Je fis ensuite divers métiers dont aucun ne me réussit. Je fus successivement colporteur, comédien, moine, laquais. Puis, reprenant le petit collet, je devins secrétaire de l'évêque de Séez et je rédigeai le catalogue des manuscrits précieux renfermés dans sa bibliothèque. Ce catalogue forme deux volumes in-folio, qu'il pla?a dans sa galerie, reliés en maroquin rouge, à ses armes, et dorés sur tranches. J'ose dire que c'est un bon ouvrage.
"Il n'aurait tenu qu'à moi de vieillir dans l'étude et la paix auprès de monseigneur. Mais j'aimais la chambrière de madame la baillive. Ne m'en blamez pas avec trop de sévérité. Brune, grasse, vive, fra?che, saint Pac?me lui-même l'e?t aimée. Un jour, elle prit le coche pour aller chercher fortune à Paris. Je l'y suivis. Mais je n'y fis point mes affaires aussi bien qu'elle fit les siennes. J'entrai, sur sa recommandation, au service de madame de Saint-Ernest, danseuse de l'Opéra, qui, connaissant mes talents, me chargea d'écrire, sous sa dictée, un libelle contre mademoiselle Davilliers, de qui elle avait à se plaindre. Je fus un assez bon secrétaire, et méritai bien les cinquante écus qui m'avaient été promis. Le livre fut imprimé à Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, avec un frontispice allégorique, et mademoiselle Davilliers re?ut le premier exemplaire au moment où elle entrait en scène pour chanter le grand air d'Armide. La colère rendit sa voix rauque et tremblante. Elle chanta faux et fut sifflée. Son r?le fini, elle courut avec sa poudre et ses paniers chez l'intendant des menus, qui n'avait rien à lui refuser. Elle se jeta tout en larmes à ses pieds et cria vengeance. On sut bient?t que le coup partait de madame de Saint-Ernest.
"Interrogée, pressée, menacée, elle me dénon?a et je fus mis à la Bastille, où je restai quatre ans. J'y trouvai quelque consolation à lire Boèce et Cassiodore.
"Depuis j'ai tenu une échoppe d'écrivain public au cimetière des Saints-Innocents et prêté aux servantes amoureuses une plume, qui devait plut?t peindre les hommes illustres de Rome et commenter les écrits des Pères. Je gagne deux liards par lettre d'amour et c'est un métier dont je meurs plut?t que je n'en vis. Mais je n'oublie pas qu'épictète fut esclave et Pyrrhon jardinier.
"Tant?t j'ai re?u, par grand hasard, un écu pour une lettre anonyme. Je n'avais pas mangé depuis deux jours. Aussi me suis-je mis tout de suite en quête d'un traiteur. J'ai vu, de la rue, votre enseigne enluminée et le feu de votre cheminée, qui faisait flamber joyeusement les vitres. J'ai senti sur votre seuil une odeur délicieuse. Je suis entré. Mon cher h?te, vous connaissez maintenant ma vie.
--Je vois qu'elle est d'un brave homme, dit mon père, et, hors la vache à Colas, il n'y a trop rien à y reprendre. Votre main! Nous sommes amis. Comment vous appelez-vous?
--Jér?me Coignard, docteur en théologie, licencié ès arts.
Ce qu'il y a de merveilleux dans les
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