La Péninsule Des Balkans | Page 4

Émile de Laveleye
et qui devait fortifier la révolution du 18 septembre, faite par le parti démocratique. Elle craignait que la Bulgarie, unifiée sans son appui et à son insu, ne dev?nt un état renfermant tous les éléments d'un développement libre et autonome, qui, comme la Roumanie, entendrait défendre son indépendance et ne voudrait à aucun prix devenir la vassale du despotisme moscovite. Elle se persuada que son intérêt lui commandait de s'opposer, par tous les moyens, à l'unification de la nationalité bulgare; ne comprenant pas qu'elle luttait contre un mouvement irrésistible et qu'elle sacrifiait ainsi parmi ses frères du Sud sa popularité si chèrement acquise.
La Serbie, voyant la Bulgarie menacée par la Porte et abandonnée par la Russie, crut le moment opportun pour lui enlever quelques districts du c?té de Trn et de Widdin, en invoquant le respect du traité de Berlin et l'équilibre des forces dans la Péninsule. On se rappelle cette courte campagne, où l'armée bulgare et le prince Alexandre déployèrent des qualités militaires qui surprirent toute l'Europe. A Slivnitza, le corps d'invasion serbe, deux fois plus nombreux que les milices bulgares, est repoussé le 15 novembre après deux jours de combats acharnés.
Du 20 au 28 novembre, le prince Alexandre conduit ses troupes victorieuses à travers le col du Dragoman à Pirot, qui est pris d'assaut, et il marchait sur Nisch, quand le ministre d'Autriche l'arrêta, en le mena?ant de faire avancer un corps autrichien. Le 2 décembre est conclu un armistice qui est converti en un traité de paix signé à Bucharest le 3 mars par M. Mijatovitch au nom de la Serbie, par M. Guechoff au nom de la Bulgarie, et par Madgid-Pacha au nom de la Turquie.
Le prince de Battenberg fit ce qu'il put pour se réconcilier avec le czar. Il alla jusqu'à attribuer le mérite de ses victoires aux instructeurs russes qui avaient formé son armée. Tout fut inutile: rien ne put apaiser les rancunes de l'empereur Alexandre. Le prince alors se retourna vers la Porte, et un accord se fit. Il fut reconnu gouverneur général de la Roumélie, avec l'approbation de la conférence des ambassadeurs.
Aux élections pour l'Assemblée générale des deux Bulgaries, l'opposition n'obtint que dix nominations sur quatre-vingt-neuf, malgré les intrigues russes.
La proclamation de l'unité bulgare, qui eut lieu le 17 juin 1886, fut saluée avec un enthousiasme patriotique et dans la Sobranié et dans tout le pays. Les trente membres turcs du Parlement votèrent tous pour la réunion, et dans la guerre contre la Serbie, les soldats musulmans furent les premiers à se rendre à la frontière pour défendre la commune patrie; ce qui prouve que les Turcs n'avaient nullement à se plaindre du gouvernement bulgare et qu'ils ne regrettaient pas l'administration ottomane.
On n'a pas oublié les événements qui suivirent: le prince arrêté, la nuit du 21 ao?t, dans son palais à Sophia par une bande d'officiers mécontents que soudoyait l'or russe, ainsi qu'osa le dire hautement lord Salisbury à un banquet du lord-maire (9 novembre 1886), en présence de l'ambassadeur de Russie; le prince rappelé par l'armée et par le peuple, re?u en triomphe dans sa capitale, et essayant de fléchir le czar, à force de condescendance et d'humilité, puis désespérant de pouvoir résister à l'hostilité implacable de la Russie et quittant le pays; la régence nationale maintenant l'ordre, malgré les tentatives d'insurrection tentées de différents c?tés, grace aux intrigues et à l'argent de la Russie, qui ne rougit pas de prendre sous sa protection des tra?tres pires que les nihilistes, puisqu'ils avaient trahi leur pays et fait prisonnier leur souverain légitime; la tournée du général Kaulbars, où l'odieux se mêle au ridicule; ce représentant d'une puissance étrangère haranguant la foule, échangeant des injures avec les assistants dans les meetings, poussant les officiers à la révolte, et enfin obligé de s'en retourner, après avoir constaté son impuissance; plus tard, le prince de Saxe-Cobourg élu malgré les protestations mena?antes de la Russie et l'opposition de commande de la Porte, et le nouveau régime sanctionné par le vote presque unanime de l'Assemblée nationale.
A plusieurs reprises, on avait cru qu'un conflit était inévitable. Le général Kaulbars avait annoncé que si les Bulgares ne se soumettaient pas à ses volontés, les Cosaques viendraient les mettre à la raison. Des canonnières russes croisaient devant Bourgas et Varna, et des troupes russes se massaient sur les bords de la mer Noire. Mais le comte Kálnoky à Vienne et le ministre Tisza à Pesth firent entendre, au sein de leur Parlement, un langage si net et si tranchant qu'on dut croire qu'il ne serait pas désavoué par l'Allemagne.
Au mois d'octobre 1886, M. Tisza s'exprima ainsi: ?Lorsque j'ai eu pour la première fois, en 1868, l'occasion de me prononcer sur la question d'Orient, j'ai déclaré que s'il se produisait des changements dans cette région, nos intérêts exigeaient que les populations
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