La Maison Tellier | Page 6

Guy de Maupassant
se cramponnaient aux c?t��s du v��hicule; les chapeaux tombaient dans le dos, sur le nez ou vers l'��paule; et le cheval blanc allait toujours, allongeant la t��te, et la queue droite, une petite queue de rat sans poil dont il se battait les fesses de temps en temps. Joseph Rivet, un pied tendu sur le brancard, l'autre jambe repli��e sous lui, les coudes tr��s ��lev��s, tenait les r��nes, et de sa gorge s'��chappait �� tout instant une sorte de gloussement qui, faisant dresser les oreilles au bidet, acc��l��rait son allure.
Des deux c?t��s de la route la campagne verte se d��roulait. Les colzas en fleur mettaient de place en place une grande nappe jaune ondulante d'o�� s'��levait une saine et puissante odeur, une odeur p��n��trante et douce, port��e tr��s loin par le vent. Dans les seigles d��j�� grands des bluets montraient leurs petites t��tes azur��es que les femmes voulaient cueillir, mais M. Rivet refusa d'arr��ter. Puis parfois, un champ tout entier semblait arros�� de sang tant les coquelicots l'avaient envahi. Et au milieu de ces plaines color��es ainsi par les fleurs de la terre, la carriole, qui paraissait porter elle-m��me un bouquet de fleurs aux teintes plus ardentes, passait au trot du cheval blanc, disparaissait derri��re les grands arbres d'une ferme, pour repara?tre au bout du feuillage et promener de nouveau �� travers les r��coltes jaunes et vertes, piqu��es de rouge ou de bleu, cette ��clatante charret��e de femmes qui fuyait sous le soleil.
Une heure sonnait quand on arriva devant la porte du menuisier.
Elles ��taient bris��es de fatigue et pales de faim, n'ayant rien pris depuis le d��part. Mme Rivet se pr��cipita, les fit descendre l'une apr��s l'autre, les embrassant aussit?t qu'elles touchaient terre; et elle ne se lassait point de b��coter sa belle-soeur, qu'elle d��sirait accaparer. On mangea dans l'atelier d��barrass�� des ��tablis pour le d?ner du lendemain.
Une bonne omelette que suivit une andouille grill��e, arros��e de bon cidre piquant, rendit la gaiet�� �� tout le monde. Rivet, pour trinquer, avait pris un verre, et sa femme servait, faisait la cuisine, apportait les plats, les enlevait, murmurant �� l'oreille de chacune:--?En avez-vous �� votre d��sir??--Des tas de planches dress��es contre les murs et des empilements de copeaux balay��s dans les coins r��pandaient un parfum de bois varlop��, une odeur de menuiserie, ce souffle r��sineux qui p��n��tre au fond des poumons.
On r��clama la petite, mais elle ��tait �� l'��glise, ne devant rentrer que le soir.
La compagnie alors sortit pour faire un tour dans le pays.
C'��tait un tout petit village que traversait une grand'route. Une dizaine de maisons rang��es le long de cette voie unique abritaient les commer?ants de l'endroit, le boucher, l'��picier, le menuisier, le cafetier, le savetier et le boulanger. L'��glise, au bout de cette sorte de rue, ��tait entour��e d'un ��troit cimeti��re; et quatre tilleuls d��mesur��s, plant��s devant son portail, l'ombrageaient tout enti��re. Elle ��tait batie en silex taill��, sans style aucun, et coiff��e d'un clocher d'ardoises. Apr��s elle la campagne recommen?ait, coup��e ?a et l�� de bouquets d'arbres cachant les fermes.
Rivet, par c��r��monie, et bien qu'en v��tements d'ouvrier, avait pris le bras de sa soeur qu'il promenait avec majest��. Sa femme, tout ��mue par la robe �� filets d'or de Rapha?le, s'��tait plac��e entre elle et Fernande. La boulotte Rosa trottait derri��re avec Louise Cocote et Flora Balan?oire, qui boitaillait, ext��nu��e.
Les habitants venaient aux portes, les enfants arr��taient leurs jeux, un rideau soulev�� laissait entrevoir une t��te coiff��e d'un bonnet d'indienne; une vieille �� b��quille et presque aveugle se signa comme devant une procession; et chacun suivait longtemps du regard toutes les belles dames de la ville qui ��taient venues de si loin pour la premi��re communion de la petite �� Joseph Rivet. Une immense consid��ration rejaillissait sur le menuisier.
En passant devant l'��glise, elles entendirent des chants d'enfants: un cantique cri�� vers le ciel par des petites voix aigu?s; mais Madame emp��cha qu'on entrat, pour ne point troubler ces ch��rubins.
Apr��s un tour dans la campagne, et l'��num��ration des principales propri��t��s, du rendement de la terre et de la production du b��tail, Joseph Rivet ramena son troupeau de femmes et l'installa dans son logis.
La place ��tant fort restreinte, on les avait r��parties deux par deux dans les pi��ces.
Rivet, pour cette fois, dormirait dans l'atelier, sur les copeaux; sa femme partagerait son lit avec sa belle-soeur, et, dans la chambre �� c?t��, Fernande et Rapha?le reposeraient ensemble. Louise et Flora se trouvaient install��es dans la cuisine sur un matelas jet�� par terre; et Rosa occupait seule un petit cabinet noir au-dessus de l'escalier, contre l'entr��e d'une soupente ��troite o�� coucherait, cette nuit-l��, la communiante.
Lorsque rentra la petite fille, ce fut sur elle une pluie de baisers; toutes les femmes la voulaient caresser, avec ce besoin d'expansion tendre, cette habitude professionnelle de chatteries, qui, dans le wagon, les avait fait toutes
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