La Main Gauche | Page 4

Guy de Maupassant
ardeur imp��tueuse. Ce fut une lutte courte, sans paroles, violente, entre les prunelles seules, l'��ternelle lutte entre les deux brutes humaines, le male et la femelle, o�� le male est toujours vaincu.
Ses mains, derri��re ma t��te m'attiraient d'une pression lente, grandissante, irr��sistible comme une force m��canique, vers le sourire animal de ses l��vres rouges o�� je collai soudain les miennes en enla?ant ce corps presque nu et charg�� d'anneaux d'argent qui tint��rent, de la gorge aux pieds, sous mon ��treinte.
Elle ��tait nerveuse, souple et saine comme une b��te, avec des airs, des mouvements, des graces et une sorte d'odeur de gazelle, qui me firent trouver �� ses baisers une rare saveur inconnue, ��trang��re �� mes sens comme un go?t de fruit des tropiques.
Bient?t... je dis bient?t, ce fut peut-��tre aux approches du matin, je la voulus renvoyer, pensant qu'elle s'en irait ainsi qu'elle ��tait venue, et ne me demandant pas encore ce que je ferais d'elle; ou ce qu'elle ferait de moi.
Mais d��s qu'elle eut compris mon intention, elle murmura:
--Si tu me chasses, o�� veux-tu que j'aille maintenant? I1 faudra que je dorme sur la terre, dans la nuit. Laisse-moi me coucher sur le tapis, au pied de ton lit.
Que pouvais-je r��pondre? Que pouvais-je faire? Je pensai que Mohammed, sans doute, regardait �� son tour la fen��tre ��clair��e de ma chambre; et des questions de toute nature, que je ne m'��tais point pos��es dans le trouble des premiers instants, se formul��rent nettement.
--Reste ici, dis-je, nous allons causer.
Ma r��solution fut prise en une seconde. Puisque cette fille avait ��t�� jet��e ainsi dans mes bras, je la garderais, j'en ferais une sorte de ma?tresse esclave, cach��e dans le fond de ma maison, �� la fa?on des femmes des harems. Le jour o�� elle ne me plairait plus, il serait toujours facile de m'en d��faire d'une fa?on quelconque, car ces cr��atures-l��, sur le sol africain, nous appartenaient presque corps et ame.
Je lui dis:
--Je veux bien ��tre bon pour toi. Je te traiterai de fa?on �� ce que tu ne sois pas malheureuse, mais je veux savoir ce que tu es, et d'o�� tu viens.
Elle comprit qu'il fallait parler et me conta son histoire, ou plut?t une histoire, car elle dut mentir d'un bout �� l'autre, comme mentent tous les Arabes, toujours, avec ou sans motifs.
C'est l�� un des signes les plus surprenants et les plus incompr��hensibles du caract��re indig��ne: le mensonge. Ces hommes en qui l'islamisme s'est incarn�� jusqu'�� faire partie d'eux, jusqu'�� modeler leurs instincts, jusqu'�� modifier la race enti��re et �� la diff��rencier des autres au moral autant que la couleur de la peau diff��rencie le n��gre du blanc, sont menteurs dans les moelles au point que jamais on ne peut se fier �� leurs dires. Est-ce �� leur religion qu'ils doivent cela? Je l'ignore. Il faut avoir v��cu parmi eux pour savoir combien le mensonge fait partie de leur ��tre, de leur coeur, de leur ame, est devenu chez eux une sorte de seconde nature, une n��cessit�� de la vie.
Elle me raconta donc qu'elle ��tait fille d'un ca?d des Ouled Sidi Cheik et d'une femme enlev��e par lui dans une razzia sur les Touaregs. Cette femme devait ��tre une esclave noire, ou du moins provenir d'un premier croisement de sang arabe et de sang n��gre. Les n��gresses, on le sait, sont fort pris��es dans les harems o�� elles jouent le r?le d'aphrodisiaques.
Rien de cette origine d'ailleurs n'apparaissait hors cette couleur empourpr��e des l��vres et les fraises sombres de ses seins allong��s, pointus et souples comme si des ressorts les eussent dress��s. A cela, un regard attentif ne se pouvait tromper. Mais tout le reste appartenait �� la belle race du Sud, blanche, svelte, dont la figure fine est faite de lignes droites et simples comme une t��te d'image indienne. Les yeux tr��s ��cart��s augmentaient encore l'air un peu divin de cette r?deuse du d��sert.
De son existence v��ritable, je ne sus rien de pr��cis. Elle me la conta par d��tails incoh��rents qui semblaient surgir au hasard dans une m��moire en d��sordre; et elle y m��lait des observations d��licieusement pu��riles, toute une vision du monde nomade n��e dans une cervelle d'��cureuil qui a saut�� de tente en tente, de campement en campement, de tribu en tribu.
Et cela ��tait d��bit�� avec l'air s��v��re que garde toujours ce peuple drap��, avec des mines d'idole qui potine et une gravit�� un peu comique.
Quand elle eut fini, je m'aper?us que je n'avais rien retenu de cette longue histoire pleine d'��v��nements insignifiants, emmagasin��s en sa l��g��re cervelle, et je me demandai si elle ne m'avait pas bern�� tr��s simplement par ce bavardage vide et s��rieux qui ne m'apprenait rien sur elle ou sur aucun fait de sa vie.
Et je pensais �� ce peuple vaincu au milieu duquel nous campons ou plut?t qui campe au milieu de nous,
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