dire: «Retourne sous la tente de Mohammed», elle
me devina peut-être, se dressa brusquement et levant ses deux bras
découverts dont tous les bracelets sonores glissèrent ensemble vers ses
épaules, elle croisa ses mains derrière mon cou en m'attirant avec un air
de volonté suppliante et irrésistible.
Ses yeux, allumés par le désir de séduire, par ce besoin de vaincre
l'homme qui rend fascinant comme celui des félins le regard impur des
femmes, m'appelaient, m'enchaînaient, m'ôtaient toute force de
résistance, me soulevaient d'une ardeur impétueuse. Ce fut une lutte
courte, sans paroles, violente, entre les prunelles seules, l'éternelle lutte
entre les deux brutes humaines, le mâle et la femelle, où le mâle est
toujours vaincu.
Ses mains, derrière ma tête m'attiraient d'une pression lente,
grandissante, irrésistible comme une force mécanique, vers le sourire
animal de ses lèvres rouges où je collai soudain les miennes en enlaçant
ce corps presque nu et chargé d'anneaux d'argent qui tintèrent, de la
gorge aux pieds, sous mon étreinte.
Elle était nerveuse, souple et saine comme une bête, avec des airs, des
mouvements, des grâces et une sorte d'odeur de gazelle, qui me firent
trouver à ses baisers une rare saveur inconnue, étrangère à mes sens
comme un goût de fruit des tropiques.
Bientôt... je dis bientôt, ce fut peut-être aux approches du matin, je la
voulus renvoyer, pensant qu'elle s'en irait ainsi qu'elle était venue, et ne
me demandant pas encore ce que je ferais d'elle; ou ce qu'elle ferait de
moi.
Mais dès qu'elle eut compris mon intention, elle murmura:
--Si tu me chasses, où veux-tu que j'aille maintenant? I1 faudra que je
dorme sur la terre, dans la nuit. Laisse-moi me coucher sur le tapis, au
pied de ton lit.
Que pouvais-je répondre? Que pouvais-je faire? Je pensai que
Mohammed, sans doute, regardait à son tour la fenêtre éclairée de ma
chambre; et des questions de toute nature, que je ne m'étais point
posées dans le trouble des premiers instants, se formulèrent nettement.
--Reste ici, dis-je, nous allons causer.
Ma résolution fut prise en une seconde. Puisque cette fille avait été
jetée ainsi dans mes bras, je la garderais, j'en ferais une sorte de
maîtresse esclave, cachée dans le fond de ma maison, à la façon des
femmes des harems. Le jour où elle ne me plairait plus, il serait
toujours facile de m'en défaire d'une façon quelconque, car ces
créatures-là, sur le sol africain, nous appartenaient presque corps et
âme.
Je lui dis:
--Je veux bien être bon pour toi. Je te traiterai de façon à ce que tu ne
sois pas malheureuse, mais je veux savoir ce que tu es, et d'où tu viens.
Elle comprit qu'il fallait parler et me conta son histoire, ou plutôt une
histoire, car elle dut mentir d'un bout à l'autre, comme mentent tous les
Arabes, toujours, avec ou sans motifs.
C'est là un des signes les plus surprenants et les plus incompréhensibles
du caractère indigène: le mensonge. Ces hommes en qui l'islamisme
s'est incarné jusqu'à faire partie d'eux, jusqu'à modeler leurs instincts,
jusqu'à modifier la race entière et à la différencier des autres au moral
autant que la couleur de la peau différencie le nègre du blanc, sont
menteurs dans les moelles au point que jamais on ne peut se fier à leurs
dires. Est-ce à leur religion qu'ils doivent cela? Je l'ignore. Il faut avoir
vécu parmi eux pour savoir combien le mensonge fait partie de leur être,
de leur coeur, de leur âme, est devenu chez eux une sorte de seconde
nature, une nécessité de la vie.
Elle me raconta donc qu'elle était fille d'un caïd des Ouled Sidi Cheik et
d'une femme enlevée par lui dans une razzia sur les Touaregs. Cette
femme devait être une esclave noire, ou du moins provenir d'un premier
croisement de sang arabe et de sang nègre. Les négresses, on le sait,
sont fort prisées dans les harems où elles jouent le rôle
d'aphrodisiaques.
Rien de cette origine d'ailleurs n'apparaissait hors cette couleur
empourprée des lèvres et les fraises sombres de ses seins allongés,
pointus et souples comme si des ressorts les eussent dressés. A cela, un
regard attentif ne se pouvait tromper. Mais tout le reste appartenait à la
belle race du Sud, blanche, svelte, dont la figure fine est faite de lignes
droites et simples comme une tête d'image indienne. Les yeux très
écartés augmentaient encore l'air un peu divin de cette rôdeuse du
désert.
De son existence véritable, je ne sus rien de précis. Elle me la conta par
détails incohérents qui semblaient surgir au hasard dans une mémoire
en désordre; et elle y mêlait des observations délicieusement puériles,
toute une vision du monde nomade née dans une cervelle d'écureuil qui
a sauté de tente en tente, de campement en campement, de tribu en
tribu.
Et
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.