La Mère de la Marquise | Page 2

Edmond About
suited to the class-room.
MURRAY P. BRUSH.
BALTIMORE DECEMBER 1902

LA MÈRE DE LA MARQUISE

I
Ceci est une vieille histoire qui datera tantôt de dix ans.
Le 15 avril 1846, on lisait dans tous les grands journaux de Paris
l'annonce suivante:
«Un jeune homme de bonne famille, ancien élève d'une école du
gouvernement,[1] ayant étudié dix ans les mines, la fonte, la forge, la
comptabilité et l'exploitation des coupes de bois, désirerait trouver dans
sa spécialité un emploi honorable. Écrire[2] à Paris, poste restante, à M.
L. M. D. O.»
[Note 1: =école du gouvernement=, state school; the French

government supports several boarding-schools for the proper training
of young men for the service of the state; prominent among these
schools are l'École polytechnique, for engineering, l'École normale, for
teaching, and l'École de Saint-Cyr, corresponding to West Point.
Admission to these schools is by competitive examination, and upon
graduation the student receives a bachelor's degree and is given the
choice of a position under the government or of resigning.]
[Note 2: =Écrire=; in advertisements the infinitive is used in French
where English requires the imperative mood.]
La propriétaire des belles forges d'Arlange, Mme Benoît, était alors à
Paris, dans son petit hôtel de la rue Saint-Dominique; mais elle ne lisait
jamais les journaux. Pourquoi les aurait-elle lus? Elle ne cherchait pas
un employé pour sa forge, mais un mari pour sa fille.
Mme Benoît, dont l'humeur et la figure ont bien changé depuis dix ans,
était en ce temps-là une personne tout à fait aimable. Elle jouissait
délicieusement de cette seconde jeunesse que la nature n'accorde pas à
toutes les femmes, et qui s'étend entre la quarantième et la
cinquantième année. Son embonpoint un peu majestueux lui donnait
l'aspect d'une fleur très épanouie, mais personne en la voyant ne
songeait à une fleur fanée. Ses petits yeux étincelaient du même feu
qu'à vingt ans; ses cheveux n'avaient pas blanchi, ses dents ne s'étaient
pas allongées; ses joues et ses mentons resplendissaient de cette
fraîcheur vigoureuse, luisante et sans duvet qui distingue la seconde
jeunesse de la première. Ses bras et ses épaules auraient fait envie à
beaucoup de jeunes femmes. Son pied s'était un peu écrasé sous le
poids de son corps, mais sa petite main rose et potelée brillait encore au
milieu des bagues et des bracelets comme un bijou entre des bijoux.
Les dedans d'une personne si accomplie répondaient exactement au
dehors. L'esprit de Mme Benoît était aussi vif que ses yeux. Sa figure
n'était pas plus épanouie que son caractère. Le rire ne tarissait jamais
sur cette jolie bouche; ses belles petites mains étaient toujours ouvertes
pour donner. Son âme semblait faite de bonne humeur et de bonne
volonté. À ceux qui s'émerveillaient d'une gaieté si soutenue et d'une
bienveillance si universelle, Mme Benoît répondait: «Que

voulez-vous?[3] Je suis née heureuse. Mon passé ne renferme rien que
d'agréable, sauf quelques heures oubliées depuis longtemps; le présent
est comme un ciel sans nuage; quant à l'avenir, j'en suis sûre, je le tiens.
Vous voyez bien qu'il faudrait être folle pour se plaindre du sort ou
prendre en grippe le genre humain!»
[Note 3: =Que voulez-vous?= how can I help it? or, what would you
have?]
Comme il n'est rien de parfait en ce monde, Mme Benoît avait un
défaut, mais un défaut innocent, qui n'avait jamais fait de mal qu'à
elle-même. Elle était, quoique l'ambition semble un privilège du sexe
laid, passionnément ambitieuse. Je regrette de n'avoir pas trouvé un
autre mot pour exprimer son seul travers; car, à vrai dire, l'ambition de
Mme Benoît n'avait rien de commun avec celle des autres hommes.
Elle ne visait ni à la fortune ni aux honneurs: les forges d'Arlange
rapportaient assez régulièrement cent cinquante mille francs de rente; et,
quant au reste, Mme Benoît n'était pas femme à rien accepter du
gouvernement de 1846.[4] Que poursuivait-elle donc? Bien peu de
chose. Si peu, que vous ne me comprendriez pas si je ne racontais
d'abord en quelques lignes la jeunesse de Mme Benoît née Lopinot.
[Note 4: =gouvernement de 1846=; by the Revolution of July, in 1830,
the Bourbon monarchy, which had been restored after the downfall of
Napoleon, in 1814, was in its turn overthrown. A constitutional
monarchy was then established with Louis Philippe of Orleans, cousin
of Louis XVIII., and of Charles X., as king. This Orleanist monarchy,
always detested by the legitimist or Bourbon party, which included
almost all of the old, aristocratic families, came to an end in 1848.]
Gabrielle-Auguste-Éliane Lopinot naquit au coeur du faubourg[5]
Saint-Germain, sur les bords de ce bienheureux ruisseau[6] de la rue du
Bac, que Mme de Staël préférait à tous les fleuves de l'Europe. Ses
parents, bourgeois jusqu'au menton, vendaient des nouveautés à
l'enseigne du Bon saint Louis,[7] et accumulaient sans
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 65
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.