La Mère de la Marquise | Page 7

Edmond About
(Vishnu). About has here curiously enough taken the title of a Mohammedan priest to typify his Hindu worshipper, whose greatest happiness is to see Vishnu (the second member of the Buddhist triad and the most popular god of modern Hindu worship). In point of fact, the ideal of perfect bliss according to Hindu belief is not entrance into the heaven of Vishnu but absorption into Brahma.]
Un matin qu'elle pleurait sous un berceau de clématites en fleur (c'était dans l'été de 1834), sa fille passa en courant auprès d'elle. Elle arrêta l'enfant par sa robe et la baisa cinq ou six fois, en se reprochant de songer moins à sa fille qu'à ses chagrins. Lorsqu'elle l'eut bien embrassée, elle la regarda en face et fut satisfaite de l'examen. à quatre ans et demi, la petite Lucile annon?ait une beauté fine et aristocratique. Ses traits étaient charmants; les attaches des pieds et des mains, exquises. éliane eut beau fouiller dans sa mémoire, elle ne se souvint pas d'avoir vu jouer aux Tuileries un seul enfant d'un type aussi distingué. Elle donna un dernier baiser à la petite, qui prit sa volée. Puis elle s'essuya les yeux, et depuis elle ne pleura plus.
?Mais où donc avais-je la tête?[35] murmura-t-elle en reprenant son plus heureux sourire. Tout n'est pas perdu; tout peut s'arranger; tout est arrangé; c'est bien; c'est pour le mieux! J'entrerai; c'est une affaire de patience; il faut du temps, mais ces portes orgueilleuses s'ouvriront devant moi. Je ne serai pas marquise, non; j'ai été assez mariée, et l'on ne m'y reprendra plus.[36] La marquise, la voilà qui piétine dans les fraises. Je lui choisirai un marquis, un bon: il faut bien que mon expérience serve à quelque chose. Je serai la vraie mère d'une vraie marquise! Elle sera re?ue partout, et moi aussi; fêtée partout, et moi aussi; elle dansera avec des ducs, et moi... je la regarderai danser, à moins que ces messieurs de 1830[37] ne fassent une loi de laisser les mamans au vestiaire!?
[Note 35: =Mais où donc avais-je la tête?= why what was I thinking of?]
[Note 36: =l'on ne m'y reprendra plus=, and no one will catch me at it again.]
[Note 37: The Orleanists, see note #4.]
Dès cet instant, son unique préoccupation fut de préparer sa fille au r?le de marquise. Elle l'habilla comme une poupée, lui enseigna les diverses grimaces dont se composent les grandes manières et lui apprit la révérence, tandis que sa gouvernante lui apprenait l'alphabet. Malheureusement, la petite Lucile n'était pas née dans la rue du Bac. Elle s'éveillait au chant des oiseaux et non au roulement des carrosses, et elle voyait plus de villageois en blouse que de laquais en livrée. Elle n'écouta pas mieux les le?ons d'aristocratie que lui donnait sa mère, que sa mère n'avait écouté les diatribes de M. Lopinot contre les marquis. L'esprit des enfants est formé par tout ce qui les entoure; ils ont l'oreille ouverte à cent précepteurs à la fois; les bruits de la campagne et les bruits de la rue leur parlent bien plus haut que le pédant le plus intraitable ou le père le plus rigoureux. Mme Beno?t eut beau prêcher: les premiers plaisirs de la jeune marquise furent de se battre avec les fillettes du village, de se rouler dans le sable en robe neuve, de voler des oeufs tout chauds dans[38] le poulailler, et de se faire tra?ner par un gros chien écossais qu'elle tirait par la queue. à la voir jouer au jardin, un observateur attentif e?t deviné le sang du bonhomme Morel et du père Lopinot[39]. Sa mère se lamentait de ne trouver en elle ni orgueil, ni vanité, ni le plus simple mouvement de coquetterie. Elle guettait avec une impatience fiévreuse le jour où Lucile mépriserait quelqu'un, mais Lucile ouvrait son coeur et ses bras à toutes les bonnes gens qui l'entouraient, depuis Margot la vachère jusqu'au plus noir des ouvriers de la forge. Lorsqu'elle se fit grandelette[40], ses go?ts changèrent un peu, mais ce ne fut pas dans le sens que sa mère désirait. Elle s'intéressa au jardin, au verger, au troupeau, à la basse-cour, à l'usine, au ménage, et même (pourquoi ne le dirait-on pas?) à la cuisine. Elle eut l'oeil au fruitier, elle étudia l'art de faire des confitures, elle s'inquiéta de la patisserie. Chose étrange! les gens de la maison, au lieu de s'impatienter de sa surveillance, lui en savaient le meilleur gré du monde[41]. Ils comprenaient, mieux que Mme Beno?t, combien il est beau qu'une femme apprenne de bonne heure l'ordre, le soin, une sage et libérale économie, et ces talents obscurs qui font le charme d'une maison et la joie des h?tes auxquels elle ouvre sa porte.
[Note 38: =voler... dans=, to steal... from; after a verb of taking dans refers to the place
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