les grands journaux de Paris l'annonce suivante:
?Un jeune homme de bonne famille, ancien élève d'une école du gouvernement,[1] ayant étudié dix ans les mines, la fonte, la forge, la comptabilité et l'exploitation des coupes de bois, désirerait trouver dans sa spécialité un emploi honorable. écrire[2] à Paris, poste restante, à M. L. M. D. O.?
[Note 1: =école du gouvernement=, state school; the French government supports several boarding-schools for the proper training of young men for the service of the state; prominent among these schools are l'école polytechnique, for engineering, l'école normale, for teaching, and l'école de Saint-Cyr, corresponding to West Point. Admission to these schools is by competitive examination, and upon graduation the student receives a bachelor's degree and is given the choice of a position under the government or of resigning.]
[Note 2: =écrire=; in advertisements the infinitive is used in French where English requires the imperative mood.]
La propriétaire des belles forges d'Arlange, Mme Beno?t, était alors à Paris, dans son petit h?tel de la rue Saint-Dominique; mais elle ne lisait jamais les journaux. Pourquoi les aurait-elle lus? Elle ne cherchait pas un employé pour sa forge, mais un mari pour sa fille.
Mme Beno?t, dont l'humeur et la figure ont bien changé depuis dix ans, était en ce temps-là une personne tout à fait aimable. Elle jouissait délicieusement de cette seconde jeunesse que la nature n'accorde pas à toutes les femmes, et qui s'étend entre la quarantième et la cinquantième année. Son embonpoint un peu majestueux lui donnait l'aspect d'une fleur très épanouie, mais personne en la voyant ne songeait à une fleur fanée. Ses petits yeux étincelaient du même feu qu'à vingt ans; ses cheveux n'avaient pas blanchi, ses dents ne s'étaient pas allongées; ses joues et ses mentons resplendissaient de cette fra?cheur vigoureuse, luisante et sans duvet qui distingue la seconde jeunesse de la première. Ses bras et ses épaules auraient fait envie à beaucoup de jeunes femmes. Son pied s'était un peu écrasé sous le poids de son corps, mais sa petite main rose et potelée brillait encore au milieu des bagues et des bracelets comme un bijou entre des bijoux.
Les dedans d'une personne si accomplie répondaient exactement au dehors. L'esprit de Mme Beno?t était aussi vif que ses yeux. Sa figure n'était pas plus épanouie que son caractère. Le rire ne tarissait jamais sur cette jolie bouche; ses belles petites mains étaient toujours ouvertes pour donner. Son ame semblait faite de bonne humeur et de bonne volonté. à ceux qui s'émerveillaient d'une gaieté si soutenue et d'une bienveillance si universelle, Mme Beno?t répondait: ?Que voulez-vous?[3] Je suis née heureuse. Mon passé ne renferme rien que d'agréable, sauf quelques heures oubliées depuis longtemps; le présent est comme un ciel sans nuage; quant à l'avenir, j'en suis s?re, je le tiens. Vous voyez bien qu'il faudrait être folle pour se plaindre du sort ou prendre en grippe le genre humain!?
[Note 3: =Que voulez-vous?= how can I help it? or, what would you have?]
Comme il n'est rien de parfait en ce monde, Mme Beno?t avait un défaut, mais un défaut innocent, qui n'avait jamais fait de mal qu'à elle-même. Elle était, quoique l'ambition semble un privilège du sexe laid, passionnément ambitieuse. Je regrette de n'avoir pas trouvé un autre mot pour exprimer son seul travers; car, à vrai dire, l'ambition de Mme Beno?t n'avait rien de commun avec celle des autres hommes. Elle ne visait ni à la fortune ni aux honneurs: les forges d'Arlange rapportaient assez régulièrement cent cinquante mille francs de rente; et, quant au reste, Mme Beno?t n'était pas femme à rien accepter du gouvernement de 1846.[4] Que poursuivait-elle donc? Bien peu de chose. Si peu, que vous ne me comprendriez pas si je ne racontais d'abord en quelques lignes la jeunesse de Mme Beno?t née Lopinot.
[Note 4: =gouvernement de 1846=; by the Revolution of July, in 1830, the Bourbon monarchy, which had been restored after the downfall of Napoleon, in 1814, was in its turn overthrown. A constitutional monarchy was then established with Louis Philippe of Orleans, cousin of Louis XVIII., and of Charles X., as king. This Orleanist monarchy, always detested by the legitimist or Bourbon party, which included almost all of the old, aristocratic families, came to an end in 1848.]
Gabrielle-Auguste-éliane Lopinot naquit au coeur du faubourg[5] Saint-Germain, sur les bords de ce bienheureux ruisseau[6] de la rue du Bac, que Mme de Sta?l préférait à tous les fleuves de l'Europe. Ses parents, bourgeois jusqu'au menton, vendaient des nouveautés à l'enseigne du Bon saint Louis,[7] et accumulaient sans bruit une fortune colossale. Leurs principes bien connus, leur enthousiasme pour la monarchie et le respect qu'ils affichaient pour la noblesse leur conservaient la clientèle de tout le faubourg. M. Lopinot, en fournisseur bien appris, n'envoyait jamais une note[8] qu'on ne la lui e?t demandée.
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