de sa mémoire: il n'y eut plus qu'elle, incarnation unique de la famille, elle seule menacée, et dont on annon?ait joyeusement la ruine, elle, victime livrée à tous ces confédérés qui célébraient leur prochaine victoire, et le félicitaient, lui, Pascal, qui déjà e?t voulu les écraser, d'être arrivé pour assister à la curée.
Il releva le front avec le sentiment qu'on le regardait. Il vit en effet les yeux de ceux qui l'entouraient fixés sur lui avec surprise. Depuis quelques minutes, à la suite de ces paroles triomphantes lancées par Fleury, il se montrait absorbé, muet, la tête penchée sur la poitrine. Il passa la main sur son front, et, avide de savoir plus complètement ce qui se tramait contre Clairefont:
--Je vous remercie de votre bienvenue, dit-il en s'effor?ant de montrer un visage souriant. Mais laissez-moi vous dire que j'arrive d'un pays où les intérêts qui vous mettent en mouvement para?traient bien mesquins. J'ai parcouru les provinces les plus sauvages de l'Amérique, j'y ai vu des domaines de cent mille hectares, où paturent des troupeaux innombrables, gardés par des escouades de bergers à cheval. En repassant au bout d'un an dans des contrées que j'avais connues désertes, j'y ai découvert des villages poussés comme par enchantement, j'ai traversé à cheval des montagnes où l'argent est le caillou du chemin, j'ai longé des lacs de pétrole contenant de quoi éclairer l'Europe entière pendant dix années sans tarir. J'ai foulé des champs où la terre végétale a cinq mètres d'épaisseur, et où la paille du blé est haute à cacher un homme debout. J'ai assisté à la marche prodigieuse et ininterrompue du progrès, transformant tout un monde. Je reviens, au bout de dix ans d'absence, et je vous trouve ici occupés de la même intrigue, échauffés de la même haine, dévorés du même désir. Allons, on voit que tout est définitivement réglé, mesuré et établi, dans notre France, et que vous avez du temps à perdre. J'assisterai à votre amusette, puisque vous m'y conviez; mais je suis un peu blasé, je vous en préviens: je ne vous promets pas que j'y prendrai de l'intérêt.
Il partit d'un éclat de rire qui sonna faux à l'oreille de Fleury. Le greffier con?ut un peu d'inquiétude. Il dévisagea ce fils qui traitait avec tant de dédain une affaire qui tenait si fort au coeur de son père. Il crut nécessaire de lui faire toucher du doigt le fond de l'opération, pour qu'il en parlat avec moins de détachement:
--Il n'est pas question ici de lacs de pétrole, ni de mines d'argent, ni même de terres pouvant se passer d'engrais, dit-il avec une aigre ironie; nous ne sommes pas dans le pays des prodiges, mais en France, où les gains considérables et faciles se font rares, et où une belle spéculation mérite qu'on s'en occupe et qu'on la tire de longueur. Or, il s'agit de la Grande Marnière, et cette colline de cent hectares, aride, couverte de bruyères et d'herbes blanches, contient, dans son sous-sol, des millions... Exploitée par le marquis de Clairefont, ce rêveur, elle a été une source de ruine. Aux mains de votre père et de ceux qui sont avec lui, elle sera une source de prospérité. Tout le pays, voyez-vous, est intéressé à ce que le domaine de Clairefont change de ma?tre, et vous ne serez pas bien malheureux, monsieur Pascal, d'habiter le chateau qui est là-haut. Si délabré qu'il soit, il a meilleure fa?on que la petite maison de la rue du Marché.
Machinalement, le jeune homme se dirigea vers la porte de la salle, l'ouvrit, et soudain le parc de Clairefont, s'étageant sur le flanc du coteau, jusqu'au pied de la longue terrasse qui borde la fa?ade du chateau, s'offrit à ses yeux. Les taillis étaient calmes, profonds, et silencieux. Au loin, le coucou faisait entendre son chant mélancolique. Au delà de ces futaies ombreuses, derrière ces murailles, se trouvait la jeune fille qu'il rêvait déjà de défendre. Un bien grand espace s'étendait entre elle et lui: toute la largeur de ce vallon stérile, qui recelait dans ses flancs les trésors annoncés par Fleury. Mais plus infranchissable encore était la séparation tracée par cette fine cravache, qui avait coupé l'air avec un sifflement, quand il avait prononcé son nom, ce nom redouté de Carvajan, qui retentissait aux oreilles inquiètes comme un présage de ruine.
--Beau parc! murmura derrière lui la voix enrouée de Chassevent... Et jolie habitation... Ma fille y travaille... Elle m'en parle...
--J'y compte deux mille pieds d'arbres à abattre, si on veut jouer du haut bois, ajouta Tondeur, avec une grosse gaieté, et encore sans ab?mer les ombrages!...
--Nous en taterons, n'est-ce pas, père sournois? dit l'énorme Pourtois... On a besoin de madriers pour le chemin de fer... Ce sera justement le coup!...
--Et il y a derrière l'auberge vingt arpents, que nous savons comment
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.