à loisir. Il est loin de croire à ce qui se passe autour de lui. N'importe; je
veux l'aimer comme on aime Dieu, sans savoir si Dieu daigne prendre
garde aux hommages que lui rendent les faibles mortels.
Adieu, mon cher Mentor-Zoé.
XV.
ZOÉ À AGATHE.
Ma chère et malheureuse Agathe! je vais t'apprendre une nouvelle qui
te fera, je n'en suis que trop certaine, beaucoup moins de peine qu'à moi.
Je devenais une prêcheuse qui aurait fini par te paraître importune.
Rassure-toi; te voilà délivrée de mes sermons, à mon grand regret; car
je ne puis cesser de t'aimer et de te plaindre. Enfin, il faut donc te dire
que mon mari, qui désirait tant voyager, a obtenu une assez belle place
dans une de nos colonies, bien par delà les mers, et il faut que nous
partions sur-le-champ. Je n'aurai pas le temps d'attendre ta réponse à
cette lettre; le ministre de la marine presse notre départ. À dix mille
lieues de mon Agathe, je saurai toujours bien lui écrire: mais que de
chances et de retards éprouveront mes lettres! Que n'ai-je pu dissuader
mon mari! Ton sort, ma toute bonne amie, m'alarme véritablement. Je
te laisse à la merci de toi-même, sans conseil, sans amie. Jure-moi, dans
le fond de ta belle âme, de penser à ta Zoé, et à toutes les promesses
que tu lui as faites. Adieu; je t'embrasse, le coeur serré. Quand
recevrons-nous de nos nouvelles? quand nous reverrons-nous? Dans ma
première missive, j'espère pouvoir te désigner le lieu où tu m'adresseras
tes chères lettres. Ah! mon amie! seulement trois jours de délai; et bon
gré malgré, je t'emmenerais avec nous. Adieu, la moitié de mon âme.
XVI.
AGATHE À ZOÉ.
Zoé! vous méconnaissez votre amie. Mes fautes vous donnent-elles le
droit d'être injuste à mon égard, et d'outrager l'amitié? En suis-je
réduite à vous apprendre que votre dernière lettre m'a frappée au coeur?
En la lisant, je me suis cru abandonnée de toute la terre. Zoé! mon amie!
la sage Zoé, qui était ma providence, mon refuge, vogue en ce moment
par delà les mers; c'était tout ce qui pouvait m'arriver de plus sinistre. Je
ne répondrai pas à tes sarcasmes; ou, pour t'en faire repentir, voici ce
que j'imagine. Zoé, transplantée au-delà des mers, n'en sera pas moins
présente à mon esprit; je continuerai de lui écrire, comme si elle était
toujours à sa campagne. Mon illusion sera loin d'être complète, puisque
je ne recevrai plus de tes nouvelles. N'importe; je me ferai un devoir de
te consulter à l'avenir, comme par le passé. Tu seras ma seconde
conscience. Dès ce soir, je commence le journal de ma vie, et il te sera
adressé; je te dirai mes fautes; je me rappellerai tes conseils, et Dieu
fera le reste. Voici ce que j'imagine de mieux pour te convaincre, et de
mon attachement, et du cas que je fais de ton estime et de ton amitié.
J'aime à penser que nous nous reverrons; tu me retrouveras digne
encore de me dire l'amie de coeur de Zoé.
XVII.
AGATHE À ZOÉ.
Ah! mon amie!... tout m'abandonne à la fois: un abîme en appelle un
autre. À peine j'apprends ton départ pour les îles, et notre séparation,
qu'il me faut essuyer une autre perte. Ma si bonne maman vient de
succomber à l'âge et aux infirmités inséparables d'une vieillesse
avancée. Que ses derniers momens m'ont affectée! elle a rendu le
dernier soupir dans mes bras; mais elle a eu le temps, comme on dit, de
se voir mourir, et de mourir avec tous les secours de la religion. Se
sentant plus affaiblie, «ma bonne petite Agathe, m'a-t-elle dit d'une
voix altérée, rends-moi un service; ce sera le dernier, je pense, mais ce
ne sera pas le moindre. Crois-tu que ce digne ecclésiastique dont nous
avons entendu la première messe avec tant d'édification, voudra bien
m'accorder la faveur de m'administrer? Va le chercher; il t'a remarquée
pour ta piété constante; il ne te refusera peut-être pas.»
Ma chère Zoé! tu ne doutes pas de mon empressement. Je volai
sur-le-champ dans mes habits d'homme au presbytère de Saint-Almont.
Je montai à son appartement avec une certaine assurance. Il ne
s'agissait pas de moi en cette rencontre, et pourtant j'étais loin d'être
indifférente à cette démarche. Saint-Almont ne me refusa point. Il
quitta son travail pour m'accompagner, sans marquer la moindre
humeur de mon importunité. Cependant, je crus m'apercevoir qu'il était
dans le feu de la composition d'un discours qu'il devait prononcer. Je
lui prodiguai les excuses, les actions de grâces. «Nous nous devons, me
dit-il à tous ceux et celles qui réclament notre assistance.» Pendant le
chemin, il garda le silence que je n'osai rompre; mais je me
dédommageai, en le regardant avec précaution, dans la

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