La Femme Abbé | Page 9

Sylvain Maréchal
Dans ma première missive, j'espère pouvoir te désigner le lieu où tu m'adresseras tes chères lettres. Ah! mon amie! seulement trois jours de délai; et bon gré malgré, je t'emmenerais avec nous. Adieu, la moitié de mon ame.

XVI.
AGATHE à ZOé.
Zoé! vous méconnaissez votre amie. Mes fautes vous donnent-elles le droit d'être injuste à mon égard, et d'outrager l'amitié? En suis-je réduite à vous apprendre que votre dernière lettre m'a frappée au coeur? En la lisant, je me suis cru abandonnée de toute la terre. Zoé! mon amie! la sage Zoé, qui était ma providence, mon refuge, vogue en ce moment par delà les mers; c'était tout ce qui pouvait m'arriver de plus sinistre. Je ne répondrai pas à tes sarcasmes; ou, pour t'en faire repentir, voici ce que j'imagine. Zoé, transplantée au-delà des mers, n'en sera pas moins présente à mon esprit; je continuerai de lui écrire, comme si elle était toujours à sa campagne. Mon illusion sera loin d'être complète, puisque je ne recevrai plus de tes nouvelles. N'importe; je me ferai un devoir de te consulter à l'avenir, comme par le passé. Tu seras ma seconde conscience. Dès ce soir, je commence le journal de ma vie, et il te sera adressé; je te dirai mes fautes; je me rappellerai tes conseils, et Dieu fera le reste. Voici ce que j'imagine de mieux pour te convaincre, et de mon attachement, et du cas que je fais de ton estime et de ton amitié. J'aime à penser que nous nous reverrons; tu me retrouveras digne encore de me dire l'amie de coeur de Zoé.

XVII.
AGATHE à ZOé.
Ah! mon amie!... tout m'abandonne à la fois: un ab?me en appelle un autre. à peine j'apprends ton départ pour les ?les, et notre séparation, qu'il me faut essuyer une autre perte. Ma si bonne maman vient de succomber à l'age et aux infirmités inséparables d'une vieillesse avancée. Que ses derniers momens m'ont affectée! elle a rendu le dernier soupir dans mes bras; mais elle a eu le temps, comme on dit, de se voir mourir, et de mourir avec tous les secours de la religion. Se sentant plus affaiblie, ?ma bonne petite Agathe, m'a-t-elle dit d'une voix altérée, rends-moi un service; ce sera le dernier, je pense, mais ce ne sera pas le moindre. Crois-tu que ce digne ecclésiastique dont nous avons entendu la première messe avec tant d'édification, voudra bien m'accorder la faveur de m'administrer? Va le chercher; il t'a remarquée pour ta piété constante; il ne te refusera peut-être pas.?
Ma chère Zoé! tu ne doutes pas de mon empressement. Je volai sur-le-champ dans mes habits d'homme au presbytère de Saint-Almont. Je montai à son appartement avec une certaine assurance. Il ne s'agissait pas de moi en cette rencontre, et pourtant j'étais loin d'être indifférente à cette démarche. Saint-Almont ne me refusa point. Il quitta son travail pour m'accompagner, sans marquer la moindre humeur de mon importunité. Cependant, je crus m'apercevoir qu'il était dans le feu de la composition d'un discours qu'il devait prononcer. Je lui prodiguai les excuses, les actions de graces. ?Nous nous devons, me dit-il à tous ceux et celles qui réclament notre assistance.? Pendant le chemin, il garda le silence que je n'osai rompre; mais je me dédommageai, en le regardant avec précaution, dans la crainte de l'embarrasser; car il est timide et modeste comme le mérite et la vertu. Arrivé près du lit de ma grand'maman, il ne lui fut pas possible de l'entretenir. Il n'en obtint que des signes de satisfaction. Sa présence, quoique muette, fut un bienfait dont je le remerciai les larmes aux yeux, et en serrant ses mains dans les miennes. Il les retira assez brusquement, et s'en alla...
Ah! Zoé! je t'ai promis de m'accuser à toi-même de toutes mes fautes; tu es et seras toujours ma directrice. Eh bien! te le dirai-je? la présence de Saint-Almont diminua en moi le sentiment de la perte de ma grand'maman, et adoucit dans mon coeur les horreurs de sa mort.
Le soir et la nuit, rendue à moi-même, je me trouvai comme seule dans un désert. Plus d'amie, plus de mère, me voilà bien véritablement orpheline; et faut-il pour mettre le comble à mes maux, que je porte dans mon coeur une passion malheureuse et sans issue!
Je ne pus fermer l'oeil. Que vais-je devenir? Je me livrai à mille réflexions, tandis qu'un parent fort éloigné, que je fis avertir, voulut bien se charger de tous les tristes détails qui accompagnent et suivent un événement semblable à celui dont j'étais la victime. Ah! Zoé! d'où tu es maintenant, inspire ta malheureuse et trop sensible Agathe.

XVIII.
AGATHE à ZOé.
Sage Zoé! toi qui es la raison, la prudence même, que diras-tu un jour de moi? Et à quoi me sert d'évoquer ton esprit, de me rappeler tes conseils, si j'en
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