qui sont autant de secousses qui ébranlent et bouleversent. Ah! que n'a-t-il mieux rencontré! Mais quoiqu'il puisse lui arriver, il saura compenser le défaut de bonheur par les douceurs d'une paix inaltérable de conscience. Que n'ai-je son caractère!
Je me joignis de grand coeur aux actions de graces qu'il pronon?a en retournant à la sacristie, où je voulus le reconduire. De bonnes femmes, sur notre passage, se disaient l'une à l'autre: ?Comme ce jeune homme a bien servi la messe! qu'il y a mis de zèle! On n'en voit plus guère comme lui à présent.?
Saint-Almont me remercia avec un air affectueux; et j'allai me placer dans l'église, sur son passage, pour le voir encore une fois, quand il rentrerait chez lui. à genoux aux pieds d'une chaise, je me procurai cette satisfaction innocente, qui ne pouvait para?tre affectée ni suspecte; puis je retournai à la maison, pleine de son image. Le reste de cette journée fut l'un de plus doux momens de ma vie.
Que vas-tu penser de moi, ma Zoé? Je t'ai dit tout; mon ame est nue devant toi. Ce qui me rassure, c'est que cette démarche ne me cause aucun remords. Quand je fais mal, ma conscience ne me le laisse pas ignorer. Zoé ne sera pas plus sévère que ma conscience: n'est-ce pas? Adieu.
XIV.
AGATHE à ZOé.
Tu ne réponds pas à ma dernière ép?tre; c'est fort mal. J'aime encore mieux tes reproches que ton silence. écris-moi; ne me ménage pas, si tu veux; dis tout ce que tu as sur le coeur, mais écris-moi.
Je ne t'imiterai pas, du moins en cela. Je vais te faire encore cette missive, pour te dire que j'ai continué mon exercice. Tous les jours, je sers la messe de Saint-Almont. Il n'y a que toi, Zoé, qui ne sois pas édifiée: tout le monde me cite comme un prodige de piété. Saint-Almont lui-même a remarqué mon assiduité, et m'en a dit deux mots flatteurs. Ce peu de paroles ont versé un baume sur ma plaie. Oui! je veux continuer à l'aimer ainsi; nous n'y risquons rien, lui ni moi. D'ailleurs, il est aussi étranger à mon amour que toi qu'il n'a jamais vue. Je me plais donc à l'aimer, quoique sans espoir: j'aime pour le seul plaisir d'aimer. Cette jouissance est bien permise sans doute. Qui peut y trouver à redire? à qui fais-je du tort? Encore une fois, y a-t-il du mal à me rendre assid?ment à toutes les offices de l'église, à me placer au choeur dans les stalles au-dessous de la sienne, et à me procurer furtivement le plaisir de le voir, de l'entendre chanter? Il a le son de voix si agréable! Le plus bel air de Sacchini, à l'Opéra, ne vaut pas un oremus sorti de la bouche de Saint-Almont. Ce matin, c'est lui qui a fait l'aspersion: je n'en ai pas perdu une goutte. En répétant les signes de la croix, j'ai ramassé sur mes doigts l'eau qui m'avait jailli au front, et je l'ai portée sur mes lèvres. Ce soir, il fera le salut; j'irai respirer l'encens qu'il offrira sur l'autel.
Voilà le carnaval qui arrive. Que de jouissances pures je me promets! Tandis que les autres femmes courront les bals; moi, j'assisterai aux prières des quarante heures; on me verra, non loin du prie-dieu où Saint-Almont fera sa station, m'enivrer du plaisir de le contempler tout à loisir. Il est loin de croire à ce qui se passe autour de lui. N'importe; je veux l'aimer comme on aime Dieu, sans savoir si Dieu daigne prendre garde aux hommages que lui rendent les faibles mortels.
Adieu, mon cher Mentor-Zoé.
XV.
ZOé à AGATHE.
Ma chère et malheureuse Agathe! je vais t'apprendre une nouvelle qui te fera, je n'en suis que trop certaine, beaucoup moins de peine qu'à moi. Je devenais une prêcheuse qui aurait fini par te para?tre importune. Rassure-toi; te voilà délivrée de mes sermons, à mon grand regret; car je ne puis cesser de t'aimer et de te plaindre. Enfin, il faut donc te dire que mon mari, qui désirait tant voyager, a obtenu une assez belle place dans une de nos colonies, bien par delà les mers, et il faut que nous partions sur-le-champ. Je n'aurai pas le temps d'attendre ta réponse à cette lettre; le ministre de la marine presse notre départ. à dix mille lieues de mon Agathe, je saurai toujours bien lui écrire: mais que de chances et de retards éprouveront mes lettres! Que n'ai-je pu dissuader mon mari! Ton sort, ma toute bonne amie, m'alarme véritablement. Je te laisse à la merci de toi-même, sans conseil, sans amie. Jure-moi, dans le fond de ta belle ame, de penser à ta Zoé, et à toutes les promesses que tu lui as faites. Adieu; je t'embrasse, le coeur serré. Quand recevrons-nous de nos nouvelles? quand nous reverrons-nous?
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