La Femme Abbé | Page 6

Sylvain Maréchal
qui a trouvé, sans le chercher, le chemin de mon coeur, et qui l'ignore, est un prêtre comme vous.
SAINT-ALMONT.
Un prêtre!
AGATHE.
Oui! un prêtre tel que vous.
SAINT-ALMONT.
Comment se fait-il?
AGATHE.
Ses malheurs m'ont d'abord intéressée; et de la pitié à l'amour, il n'y qu'un pas.
SAINT-ALMONT.
Et il ne se doute point du penchant funeste qu'il vous a inspiré?
AGATHE.
Nullement.
SAINT-ALMONT.
Il ne vous a jamais parlé?
AGATHE.
Jamais. Je ne sais pas même s'il m'a vue; du moins il ne m'a point remarquée. Ses malheurs et ses vertus m'ont entra?née vers lui. Quand on aime, on ne calcule point. Vous le savez peut-être aussi bien que moi?
(Saint-Almont ne me répondit pas; mais il laissa échapper un soupir.)
Vous voyez, mon père, combien j'ai besoin de vos bons avis. Connaissez-vous un remède à cette funeste passion?
SAINT-ALMONT.
Saviez-vous l'état de celui qui vous l'a inspirée?
AGATHE.
Oui.
SAINT-ALMONT.
Il habite Paris en ce moment encore?
AGATHE.
Oui.
SAINT-ALMONT.
Mais sans doute que vous ne cherchez point à le voir?
AGATHE.
Au contraire, je l'ai vu tous les jours sans m'en défendre.
SAINT-ALMONT.
Ce n'est pas ainsi que vous guérirez.
AGATHE.
Je le sais.
SAINT-ALMONT.
Fuyez, non pas le danger; il n'y en a point à craindre: mais redoutez de longs chagrins.
AGATHE.
Je n'en ai pas le courage.
SAINT-ALMONT.
La raison....
AGATHE.
Le coeur.... Mettez-vous à ma place.
SAINT-ALMONT.
Je n'ai que des conseils à vous donner.
AGATHE.
Que me conseillez-vous?
SAINT-ALMONT.
Mais, de votre c?té, il faut des sacrifices.
AGATHE.
De quelle nature?
SAINT-ALMONT.
D'abord, renoncer à le voir.
AGATHE.
Je n'ose vous le promettre. Quel mal fais-je, en le voyant, tant que je ne lui parlerai point?
SAINT-ALMONT.
Mais que prétendez-vous, en continuant à le voir?
AGATHE.
Je ne prétends qu'au plaisir, certes! fort innocent de l'aimer sans le lui dire; car je mourrai avant qu'il ait mon secret.
SAINT-ALMONT.
Vous n'êtes point la seule victime d'un pareil penchant; d'autres aussi ont aimé d'abord comme vous, et ensuite ont montré plus de courage que vous. Tachez de les imiter.
AGATHE.
Cela est au-dessus de mes forces.
SAINT-ALMONT.
J'en connais qui ont su élever un mur d'éternelle séparation entre eux et l'objet de leur affection.
AGATHE.
Je les en félicite; mais je ne me sens pas assez de caractère.
SAINT-ALMONT.
Ni moi assez de lumières pour vous guider. Adressez-vous à des prêtres plus exercés dans le saint ministère où je suis encore novice.
AGATHE.
Vous me refusez des secours?
SAINT-ALMONT.
C'est que ceux que j'ai à vous donner sont insuffisans. Que voulez-vous de moi?
AGATHE.
Des consolations du moins.
SAINT-ALMONT.
Quittons-nous, puisque je ne puis parvenir à vous calmer.
AGATHE.
J'attendais davantage.
SAINT-ALMONT.
Comptez sur mes prières, et souffrez que..... J'éprouve un malêtre....
AGATHE.
Me permettez-vous de revenir dans quelques jours vous consulter?....
SAINT-ALMONT.
Il n'est pas nécessaire. Votre guérison est en votre pouvoir plus qu'au mien....
AGATHE.
Vous m'abandonnez....
SAINT-ALMONT.
Présentez-vous au grand-pénitencier.
AGATHE.
Suis-je donc une si grande criminelle?
SAINT-ALMONT.
Vous n'êtes qu'à plaindre, et vous n'êtes pas seule dans ce précipice. Je vous adresse à un vieillard plein de vertu et d'expérience. Allez.
AGATHE.
Vous ne voulez plus me recevoir?
SAINT-ALMONT.
Si vous saviez ce qu'il m'en co?te de ne pouvoir répondre à votre confiance; mais elle sera mieux placée où je vous envoie. Que le ciel vous donne sa grace!
Je voulus insister; mais Saint-Almont ferma la petite grille à travers laquelle nous e?mes cette conférence; et se retournant du c?té opposé, donna audience à d'autres personnes moins embarrassantes pour lui, et moins embarrassées que moi.
Il fallut donc me retirer. Il faisait nuit noire. Une circonstance me consola du peu de succès de cette démarche singulière, et bizarre, si tu veux, ma bonne Zoé. C'est que Saint-Almont ne put voir mon visage; par conséquent, je concevais l'espoir d'une autre entrevue avec lui. Dans ce dessein, j'avais pris aussi la précaution de déguiser ma voix.
à la lecture de cette lettre contenant l'extrait de ce qui s'est passé au confessionnal de Saint-Almont, tu vas me répéter: ?Eh bien! quel est ton but, Agathe? Si tu aimes véritablement, modèle-toi sur l'objet de ton amour. Sois aussi sage, aussi réservée que lui.? Et moi, je te répondrai que plus je connais Saint-Almont, plus je trouve de raisons pour l'aimer davantage; et assurément, tant que les choses n'iront pas plus loin, on n'a pas le plus petit reproche à me faire.
Mais tu vas te récrier de nouveau à un autre projet qui me roule dans la tête! Tu me la croiras tout à fait tournée, et tu auras tort encore une fois. Sache donc, sans autre circonlocution, que je suis résolue à prendre l'habit d'homme, afin de voir plus souvent et plus à mon aise Saint-Almont. Sans lui en dire le motif, j'ai déjà fait part de ce dessein à ma bonne maman. Elle n'a pas eu le courage de me contredire; ainsi donc, au re?u de ta réponse à cette missive, je passe à l'exécution. Ton Agathe quitte les habits de son sexe, sans en abandonner les vertus pudiques. Je te le répète, j'ai à coeur de me conserver digne de ton amitié et de ma propre estime. Adieu; je t'embrasse, et te charge de faire ma paix avec ton mari, s'il était d'humeur à me gronder. Adieu, ma toute bonne.

XII.
ZOé à SA PAUVRE AGATHE.
Ma pauvre et toujours chère Agathe!
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 25
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.