La Femme Abbé | Page 5

Sylvain Maréchal
douce confiance que je n'ai point faussé mon serment.
Cette déclaration faite, il faut que tu aies la complaisance de lire le reste de ma lettre. Tu seras toujours ma confidente discrète, mais jamais ma complice, parce que jamais je n'aurai de faute grave à me reprocher. Entends-tu bien, Zoé?
Ma bonne vieille vint me dire hier matin: ?M. l'abbé de Saint-Almont tiendra confessionnal cette après-d?née jusqu'au soir. Tous ces jours gras, il les consacre à son ministère. Oh! il aura bien des pénitentes; car on l'estime déjà beaucoup. Venez donc tant?t.?
Le récit de la vieille excita en moi un sentiment qui m'était inconnu jusqu'alors. Il aura bien des pénitentes! Je répétai ces paroles avec l'accent de la jalousie. Oui, j'irai tant?t; je veux savoir s'il est des femmes capables de l'aimer avec autant de désintéressement que moi.
Je me trouvai donc aux environs du confessionnal, bien avant que Saint-Almont n'y entrat. Ce qui me rassura un peu, c'est que je ne vis que quelques femmes agées et de très-jeunes-gens. Il ne se fit pas attendre long-temps. Il vint en surplis fort propre. Je ne m'éloignai pas. Il entendit plusieurs vieilles pénitentes avec beaucoup de patience. Une d'elles en se retirant me dit: ?Ma jeune demoiselle, ce confesseur est un ange pour la douceur et la sagesse des conseils. N'en prenez point d'autres; vous en serez contente. J'en suis enchantée; je lui enverrai mes deux filles qui sont de votre age.?
J'avais le désir le plus violent de me présenter à mon tour, et de me faire entendre en confession à celui de tous les hommes qui m'inspirait le plus de confiance. Je ne sais ce qui me retint. L'importance et la singularité de cette démarche s'offrirent à ma pensée. D'ailleurs, je m'étais promis de ne rien oser, sans avoir consulté mon amie. Bonne et sage Zoé! conseille-moi donc. Me permets-tu cette nouvelle imprudence? car tu vas sans doute qualifier ainsi le dessein que je br?le d'exécuter. Quel mal pourras-tu trouver dans cet acte interdit aux profanes, je le sais, mais il ne peut en résulter d'inconvénient grave; tout au plus, une estime mieux sentie encore pour Saint-Almont. Zoé, parle: tu es mon oracle.

X.
ZOé à AGATHE.
Agathe, tu me consultes, peut-être avec la ferme résolution de ne point exécuter mes ordonnances. N'importe; j'aurai rempli mon devoir, en te tra?ant les tiens. N'entre point dans le confessionnal de Saint-Almont; n'ajoute point ce nouveau tort aux autres. Qu'irais-tu lui dire? Que tu l'aimes? Oui! tu br?les de lui faire cet aveu, sous le voile sacré de la confession. C'est une déclaration d'amour que tu hasarderas, fille imprudente! J'aime à croire à l'honnêteté de Saint-Almont; et je me repose même sur la tienne, s'il était homme à vouloir profiter de ta faiblesse. Mais où tout cela te mènera-t-il? Je pense que le r?le qu'il me convient de jouer dans cette affaire, est celui de spectatrice, de confidente tout au plus, en te renvoyant à toi-même, en en appelant à ton propre coeur, si les choses deviennent plus sérieuses. Agathe, fais donc ce que tu voudras.

XI.
AGATHE à ZOé.
Tu me regardes apparemment comme une malade désespérée: tu m'abandonnes à moi-même. Je te prends à tes propres paroles, et j'espère que nous n'aurons pas à nous en repentir. Voici donc ce que j'ai cru pouvoir me permettre.
Hier, je me suis présentée au confessionnal de Saint-Almont. Il y avait foule. J'ai laissé passer les plus pressées, afin de me ménager un entretien plus long; et le voici. Ma mémoire exacte et fidèle en conservera toute ma vie les expressions; je te fais grace des préliminaires, et des formules consacrées.
AGATHE
Mon père, la confiance que vous avez déjà su inspirer à plusieurs mères de famille, m'amène à vous. Je suis une orpheline de dix-neuf ans, que la mère de mon père défunt veut bien accueillir; elle veille sur le printemps de ma vie. Je soulage autant qu'il est en moi l'hiver de son age.
SAINT-ALMONT.
Que désirez-vous de mon ministère?
AGATHE.
Comment oserais-je...
SAINT-ALMONT.
Ma fille! vous êtes dans la saison des passions. En éprouveriez-vous une malheureuse? Vous ne seriez pas la seule exposée aux orages du coeur. C'est un tribut qu'il faut payer t?t ou tard.
AGATHE.
Je commence à l'éprouver.
SAINT-ALMONT.
Aimeriez-vous?
AGATHE.
Hélas!
SAINT-ALMONT.
Pour la première fois?
AGATHE.
Oui, et pour la dernière; car on n'aime pas deux fois, m'a-t-on dit.
SAINT-ALMONT.
Aimer n'est pas toujours une faiblesse coupable; mais trop souvent c'est la cause innocente de bien des peines.
AGATHE.
C'est ce que je crains.
SAINT-ALMONT.
éprouveriez-vous quelques obstacles?
AGATHE.
Permettez-moi de vous ouvrir mon ame tout entière.
SAINT-ALMONT.
Dites.
AGATHE.
La situation où je me trouve n'est pas ordinaire.
SAINT-ALMONT.
Parlez, et disposez de moi, si vous pensez que je puisse contribuer en quelque chose à votre tranquillité.
AGATHE.
Sachez donc...
SAINT-ALMONT.
Votre voix est tremblante. Rassurez-vous.
AGATHE.
Apprenez donc que celui que j'aime est d'une profession à ne pouvoir me payer de retour, quand bien même il saurait qu'il est aimé de moi.
SAINT-ALMONT.
Vous me surprenez. Je n'imagine pas....
AGATHE.
Eh bien! sachez donc que l'homme
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