La Duchesse de Palliano | Page 6

Stendhal
du Pecorone, etc.
Mais elle ‚tait encore plus s‚duisante quand elle daignait entretenir sa
compagnie des id‚es singuliŠres que lui sugg‚rait son esprit.
Elle eut un fils qui fut appel‚ le duc de Cavi. Son frŠre, D. Ferrand,
comte d'Aliffe, vint … Rome, attir‚ par la haute fortune de ses
beaux-frŠres.

Le duc de Palliano tenait une cour splendide; les jeunes gens des
premiŠres familles de Naples briguaient l'honneur d'en faire partie.
Parmi ceux qui lui ‚taient le plus chers, Rome distingua, par son
admiration, Marcel Capece (du Seggio di Nido), jeune cavalier
c‚lŠbre … Naples par son esprit, non moins que par la beaut‚ divine
qu'il avait re‡ue du ciel.
La duchesse avait pour favorite Diane Brancaccio, ƒg‚e alors de trente
ans, proche parente de la marquise de Montebello, sa belle-soeur. On
disait dans Rome que, pour cette favorite, elle n'avait plus d'orgueil;
elle lui confiait tous ses secrets. Mais ces secrets n'avaient rapport qu'…
la politique; la duchesse faisait naŒtre des passions, mais n'en
partageait aucune.
Par les conseils du cardinal Carafa, le pape fit la guerre au roi
d'Espagne, et le roi de France envoya au secours du pape une arm‚e
command‚e par le duc de Guise.
Mais il faut nous en tenir aux ‚v‚nements int‚rieurs de la cour du duc de
Palliano.
Capece ‚tait depuis longtemps comme fou; on lui voyait commettre les
actions les plus ‚tranges; le fait est que le pauvre jeune homme ‚tait
devenu passionn‚ment amoureux de la duchesse sa maŒtresse, mais il
n'osait se d‚couvrir … elle. Toutefois il ne d‚sesp‚rait pas absolument
de parvenir … son but, il voyait la duchesse profond‚ment irrit‚e contre
un mari qui la n‚gligeait. Le duc de Palliano ‚tait tout-puissant dans
Rome, et la duchesse savait, … n'en pas douter, que presque tous les
jours les dames romaines les plus c‚lŠbres par leur beaut‚ venaient voir
son mari dans son propre palais, et c'‚tait un affront auquel elle ne
pouvait s'accoutumer.
Parmi les chapelains du saint pape Paul IV se trouvait un respectable
religieux avec lequel il r‚citait son br‚viaire. Ce personnage, au risque
de se perdre, et peut-ˆtre pouss‚ par l'ambassadeur d'Espagne, osa bien
un jour d‚couvrir au pape toutes les sc‚l‚ratesses de ses neveux. Le saint
pontife fut malade de chagrin; il voulut douter; mais les certitudes
accablantes arrivaient de tous c“t‚s. Ce fut le premier jour de l'an 1559

qu'eut lieu l'‚v‚nement qui confirma le pape dans tous ses soup‡ons, et
peut-ˆtre d‚cida Sa Saintet‚. Ce fut donc le propre jour de la
Circoncision de Notre-Seigneur, circonstance qui aggrava beaucoup la
faute aux yeux d'un souverain aussi pieux, qu'Andr‚ Lanfranchi,
secr‚taire du duc de Palliano, donna un souper magnifique au cardinal
Carafa, et, voulant qu'aux excitations de la gourmandise ne
manquassent pas celles de la luxure, il fit venir … ce souper la
Martuccia, l'une des plus belles, des plus c‚lŠbres et des plus riches
courtisanes de la noble ville de Rome. La fatalit‚ voulut que Capece, le
favori du duc, celui-l… mˆme qui en secret ‚tait amoureux de la
duchesse, et qui passait pour le plus bel homme de la capitale du monde,
se f–t attach‚ depuis quelque temps … la Martuccia. Ce soir-l…, il la
chercha dans tous les lieux o— il pouvait esp‚rer la rencontrer. Ne la
trouvant nulle part, et ayant appris qu'il y avait un souper dans la
maison Lanfranchi, il eut soup‡on de ce qui se passait, et sur le minuit
se pr‚senta chez Lanfranchi, accompagn‚ de beaucoup d'hommes arm‚s.
La porte lui fut ouverte, on l'engagea … s'asseoir et … prendre part au
festin; mais, aprŠs quelques paroles assez contraintes, il fit signe … la
Martuccia de se lever et de sortir avec lui. Pendant qu'elle h‚sitait, toute
confuse et pr‚voyant ce qui allait arriver Capece se leva du lieu o— il
‚tait assis, et, s'approchant de la jeune fille, il la prit par la main,
essayant de l'entraŒner avec lui. Le cardinal, en l'honneur duquel elle
‚tait venue, s'opposa vivement … son d‚part; Capece persista,
s'effor‡ant de l'entraŒner hors de la salle.
Le cardinal premier ministre, qui, ce soir-l…, avait pris un habit tout
diff‚rent de celui qui annon‡ait sa haute dignit‚, mit l'‚p‚e … la main, et
s'opposa avec la vigueur et le courage que Rome entiŠre lui connaissait
au d‚part de la jeune fille. Marcel, ivre de colŠre, fit entrer ses gens;
mais ils ‚taient Napolitains pour la plupart, et, quand ils reconnurent
d'abord le secr‚taire du duc et ensuite le cardinal que le singulier habit
qu'il portait leur avait d'abord cach‚, ils remirent leurs ‚p‚es dans le
fourreau, ne voulurent point se battre, et s'interposŠrent pour apaiser la
querelle.
Pendant ce tumulte, Martuccia, qu'on entourait et que Marcel Capece

retenait de la main gauche, fut assez adroite pour s'‚chapper. DŠs que
Marcel s'aper‡ut de son
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