La Daniella, Vol. I. | Page 6

George Sand
dont je me plains pr��cis��ment! Elle ne se soucie plus du royaume du ciel, c'est-��-dire de la vie de sentiment. Elle a des entrailles de fer et de cuivre comme une machine. La grande parole, l'_homme ne vit pas seulement de pain_, est vide de sens pour elle et pour la jeune g��n��ration, qu'elle ��l��ve dans le mat��rialisme des int��r��ts et l'ath��isme du coeur. Pour moi qui suis n�� contemplatif, je me sens isol��, perdu, d��pouill�� au sein de ce travail, o�� je n'ai rien �� recueillir; car je n'ai pas tous ces besoins de bien-��tre que tant de millions de bras s'acharnent �� satisfaire. Je n'ai ni plus faim ni plus soif qu'il ne convient �� un homme ordinaire, et je ne vois pas la n��cessit�� d'augmenter ma fortune pour jouir d'un luxe dont je ne saurais absolument que faire. Je demanderais tout simplement un peu d'aise morale et de jouissance intellectuelle, un peu d'amour et d'honneur; et ce sont l�� des choses dont le genre humain n'a plus l'air de se soucier. Croyez-vous donc que tous ces grands frais de savoir, d'invention et d'activit�� par lesquels le pr��sent montre sa richesse et manifeste sa puissance, le rendront plus heureux et plus fort? Moi, j'en doute. Je ne vois pas la vraie civilisation dans le progr��s des machines et dans la d��couverte des proc��d��s. Le jour o�� j'apprendrais que toute chaumi��re est devenue un palais, je plaindrais la race humaine si ce palais n'abritait que des coeurs de pierre.
--Tu as raison, et tu as tort. Si tu prends le palais rempli de vices et de lachet��s pour le but du travail humain, je suis de ton avis; mais, si tu vois le bien-��tre g��n��ral comme un chemin n��cessaire pour arriver �� la sant�� intellectuelle et �� l'��closion des grandes v��rit��s morales, tu ne maudiras plus cette fi��vre de progr��s mat��riel qui tend �� d��livrer l'homme des antiques servitudes de l'ignorance et de la mis��re. Pour ��tre sage, tu devrais conclure ceci: que les id��es ne peuvent pas plus se passer des faits que les faits des id��es. L'id��al serait sans doute de faire marcher simultan��ment les moyens et le but; mais nous n'en sommes pas l��, et tu te plains d'��tre n�� cent ans trop t?t. J'avoue que j'ai eu souvent envie de m'en plaindre aussi pour mon compte; mais ce sont l�� des d��sespoirs trop sublimes dont nous n'avons pas le droit d'entretenir nos semblables, sous peine d'��tre fort ridicules.
--J'en conviens, dit Jean Valreg apr��s avoir un peu r��v��. Je suis un plus grand ambitieux que ces vulgaires ambitieux que j'accuse. Mais il faut conclure. Je ne me sens pas n�� industriel, je n'entends rien aux affaires. Les sciences exactes ne m'attirent pas. Je n'ai pas ��t�� �� m��me de faire des ��tudes classiques. Je suis un r��veur; donc, je suis un artiste ou un po?te. C'est de ma vocation que je veux vous parler; car, vous le voyez, je suis fix��.
?J'ignore si j'ai des dispositions pour un art quelconque; il y en a un pour lequel j'ai de l'amour. C'est la peinture. Je vous raconterai plus tard comment ce go?t m'est venu, si cela vous int��resse. Mais cela ne prouvera rien; je n'ai peut-��tre pas la moindre aptitude, et, dans tous les cas, je suis d'une ignorance primitive, absolue. Je vais essayer d'apprendre ce qui peut ��tre enseign��. J'irai dans l'atelier de quelque ma?tre. Je me ferai d'abord esclave du m��tier, et, quand j'en tiendrai un peu les proc��d��s, je lacherai la bride �� mes instincts. Alors, vous me jugerez, et, si j'ai quelque talent, je ferai des efforts pour en avoir davantage. Sinon, j'accepterai ma nullit�� avec une r��signation compl��te, et peut-��tre avec une certaine joie.
--A?e! m'��criai-je, voici le fond de paresse ou d'apathie qui repara?t.
--Vous croyez?
--Oui! pourquoi se r��jouir d'��tre nul?
--Parce qu'il me semble que le talent impose des devoirs immenses, et que j'aurais plut?t le go?t des humbles devoirs. C'est si peu la paresse qui me conseille, que, si je trouvais �� m'employer honorablement au service d'une grande intelligence, je me sentirais fort heureux d'avoir �� jouir de sa gloire sans en porter le fardeau. Avoir tout juste assez d'ame pour savourer la grandeur des autres, pour la sentir vivre au dedans de soi, sans ��tre forc�� par la nature �� la manifester avec ��clat, c'est un ��tat d��licieux que j'ambitionne; c'est mon r��ve de douce m��diocrit�� que je caresse: la m��diocrit�� de condition, avec l'��l��vation du coeur et de la pens��e, l'expansion dans l'intimit��, la foi �� quelque chose d'immortel et �� quelqu'un de vivant. Suis-je donc si coupable �� vos yeux, de vouloir apprendre pour comprendre, et de ne rien d��sirer de plus?
--A la bonne heure! Essaye! Je ne crois pas que cette modestie t'emp��che d'acqu��rir du talent, si tu dois en
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