La Daniella, Vol. I. | Page 5

George Sand
les semences de fraternit�� avant qu'elles eussent eu le temps de germer; mon ame se resserra et mon coeur contrist�� n'eut plus d'illusions. Tout se r��suma pour moi dans ce mot: Les hommes n'��taient pas m?rs! Alors je tachai de vivre avec cette pens��e morne et lourde: La v��rit�� sociale n'est pas r��v��l��e. Les soci��t��s en sont encore �� vouloir inaugurer son r��gne par la force, et chaque nouvelle exp��rience d��montre que la forme mat��rielle est un ��l��ment sans dur��e et qui passe d'un camp �� l'autre comme une graine emport��e par le vent. La vraie force, la foi, n'est pas n��e... elle ne na?tra peut-��tre pas de mon temps. Ma jeunesse ne verra que des jours mauvais, mon age m?r, que des temps de positivisme. Pourquoi donc, h��las! ai-je fait un beau r��ve et salu�� une aurore qui ne devait pas avoir de lendemain? Mieux e?t valu vivre si loin de ces choses, que le bruit n'en f?t pas venu jusqu'�� moi; mieux e?t valu na?tre et mourir dans la pesante somnolence de ces gens de campagne qu'un changement quelconque trouble pendant un instant, et qui retombent avec joie dans les liens de l'habitude, sous le joug du pass��.
?Telle fut la r��verie douloureuse de mes ann��es d'adolescence, augment��e des douleurs particuli��res que je vous ai racont��es.
?Aujourd'hui, j'arrive dans une soci��t�� rapidement transform��e par des ��v��nements impr��vus, pouss��e en avant d'une part, rejet��e en arri��re de l'autre, aux prises avec des fascinations ��tranges, avec une pens��e ��nigmatique �� bien des ��gards, comme le sera toujours une pens��e individuelle impos��e aux masses. Je ne songe point ici �� vous parler politique: les inductions qui s'appuient sur des ��ventualit��s de fait sont les plus vaines de toutes. Je me borne �� chercher, dans l'avenir, une situation morale quelconque, �� laquelle je puisse me rattacher, et, en regardant celle qui m'environne, je ne trouve pas ma place dans ces int��r��ts nouveaux qui captivent l'attention et la volont�� des hommes de mon temps.
--Voyons, lui dis-je, j'ai tr��s-bien compris tout ce qui t'a rendu triste comme te voil��. Cette tristesse, loin de me sembler coupable, me donne une meilleure opinion de toi; mais il est temps d'en sortir, je ne dirai pas par un effort de ta volont�� (il n'y a pas de volont�� possible sans un but arr��t��), mais par un plus grand examen de cette soci��t�� actuelle que tu ne connais pas assez pour avoir le droit d'en d��sesp��rer.
--Je n'en d��sesp��re pas, r��pondit-il; mais je la connais ou je la devine assez, je vous jure, pour ��tre certain qu'il faut y vivre enivr�� ou d��senchant��. Ce milieu paisible, raisonnable, patient, ces humbles et bonnes existences d'autrefois, que me retrace le souvenir de ma propre enfance dans la famille bourgeoise; cette honn��te et honorable m��diocrit�� o�� l'on pouvait se tenir sans grands efforts et sans grands combats, n'existent plus. Les id��es ont ��t�� trop loin pour que la vie de m��nage ou de clocher soit supportable. Il y a dix ans, je me le rappelle bien, on avait encore un esprit d'association dans les sentiments, des volont��s en commun, des d��sirs ou des regrets dont on pouvait s'entretenir �� plusieurs. Rien de semblable depuis que chaque parti social ou politique s'est subdivis�� en nuances infinies. Cette fi��vre de discussion qui a d��bord�� les premiers jours de la R��publique, n'a pas eu le temps d'��claircir des probl��mes qui portaient la lumi��re dans leurs flancs, mais qui, faute d'aboutir, ont laiss�� des t��n��bres derri��re eus, pour la plupart des hommes de cette g��n��ration. Quelques esprits d'��lite travaillent toujours �� ��lucider les grandes questions de la vie morale et intellectuelle; mais les masses n'��prouvent que le d��go?t et la lassitude de tout travail de r��flexion. On n'ose plus parler de rien de ce qui est au del�� de l'horizon des int��r��ts mat��riels, et cela, non pas tant �� cause des polices ombrageuses que par crainte de la discussion am��re ou oiseuse, de l'ennui ou de la m��sintelligence que soul��vent maintenant ces probl��mes. La mort se fait presque au sein m��me des familles les mieux unies; on ��vite d'approfondir les questions s��rieuses, par crainte de se blesser les uns les autres. On n'existe donc plus qu'�� la surface, et, pour quiconque sent le besoin de l'expansion et de la confiance, quelque chose de lourd comme le plomb et de froid comme la glace est r��pandu dans l'atmosph��re, �� quelque ��tage de la soci��t�� que l'on se place pour respirer.
--Cela est certain; mais l'humanit�� ne meurt pas, et, quand sa vie semble s'��teindre d'un c?t��, elle se r��veille de l'autre. Cette soci��t��, engourdie quant �� la discussion de ses int��r��ts moraux, est en grand travail sur d'autres points. Elle cherche, dans la science appliqu��e �� l'industrie, le _royaume de la terre_, et elle est train de le conqu��rir.
--Voil�� ce
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 123
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.