La Conquete de Plassans | Page 6

Emile Zola
lui d��gager la face, la serra davantage, en lui passant un bras �� la taille.
--Excusez-la, dit-elle avec quelque tristesse; elle n'a pas la t��te forte, elle est rest��e petite fille.... C'est une innocente.... Nous ne la tourmentons pas pour apprendre. Elle a quatorze ans, et elle ne sait encore qu'aimer les b��tes.
D��sir��e, sous les caresses de sa m��re, s'��tait rassur��e; elle avait tourn�� la t��te, elle souriait. Puis, d'un air hardi;
--Je veux bien que vous soyez mon ami.... Seulement vous ne faites jamais de mal aux mouches, dites?
Et, comme tout le monde s'��gayait autour d'elle:
--Octave les ��crase, les mouches; continua-t-elle gravement. C'est tr��s-mal.
L'abb�� Faujas s'��tait assis. Il semblait tr��s-las. Il s'abandonna un moment �� la paix ti��de de la terrasse, promenant ses regards ralentis sur le jardin, sur les arbres des propri��t��s voisines. Ce grand calme, ce coin d��sert de petite ville, lui causaient une sorte de surprise. Son visage se tacha de plaques sombres.
--On est tr��s-bien ici, murmura-t-il.
Puis il garda le silence, comme absorb�� et perdu. Il eut un l��ger sursaut, lorsque Mouret lui dit avec un rire:
--Si vous le permettez, maintenant, monsieur, nous allons nous mettre �� table.
Et, sur le regard de sa femme:
--Vous devriez faire comme nous, accepter une assiette de soupe. Cela vous ��viterait d'aller d?ner �� l'h?tel.... Ne vous g��nez pas, je vous en prie.
--Je vous remercie mille fois, nous n'avons besoin de rien, r��pondit l'abb�� d'un ton d'extr��me politesse, qui n'admettait pas une seconde invitation.
Alors, les Mouret retourn��rent dans la salle �� manger, o�� ils s'attabl��rent. Marthe servit la soupe. Il y eut bient?t un tapage r��jouissant de cuillers. Les enfants jasaient. D��sir��e eut des rires clairs, en ��coutant une histoire que son p��re racontait, enchant�� d'��tre enfin �� table. Cependant, l'abb�� Faujas, qu'ils avaient oubli��, restait assis sur la terrasse, immobile, en face du soleil couchant. Il ne tournait pas la t��te; il semblait ne pas entendre. Comme le soleil allait dispara?tre, il se d��couvrit, ��touffant sans doute. Marthe, plac��e devant la fen��tre, aper?ut sa grosse t��te nue, aux cheveux courts, grisonnant d��j�� vers les tempes. Une derni��re lueur rouge alluma ce crane rude de soldat, o�� la tonsure ��tait comme la cicatrice d'un coup de massue; puis, la lueur s'��teignit, le pr��tre, entrant dans l'ombre, ne fut plus qu'un profil noir sur la cendre grise du cr��puscule.
Ne voulant pas appeler Rose, Marthe alla chercher elle-m��me une lampe et servit le premier plat. Comme elle revenait de la cuisine, elle rencontra, au pied de l'escalier, une femme qu'elle ne reconnut pas d'abord. C'��tait madame Faujas. Elle avait mis un bonnet de linge; elle ressemblait �� une servante, avec sa robe de cotonnade, serr��e au corsage par un fichu jaune, nou�� derri��re la taille; et, les poignets nus, encore toute soufflante de la besogne qu'elle venait de faire, elle tapait ses gros souliers lac��s sur le dallage du corridor.
--Voil�� qui est fait, n'est-ce pas, madame? lui dit Marthe en souriant. --Oh! une mis��re, r��pondit-elle; en deux coups de poing, l'affaire a ��t�� bacl��e.
Elle descendit le perron, elle radoucit sa voix:
--Ovide, mon enfant, veux-tu monter? Tout est pr��t l��-haut.
Elle dut toucher son fils �� l'��paule pour le tirer de sa r��verie. L'air fra?chissait. Il frissonna, il la suivit sans parler. Comme il passait devant la porte de la salle �� manger, toute blanche de la clart�� vive de la lampe, toute bruyante du bavardage des enfants, il allongea la t��te, disant de sa voix souple:
--Permettez-moi de vous remercier encore et de nous excuser de tout ce d��rangement.... Nous sommes confus....
--Mais non, mais non! cria Mouret; c'est nous autres qui sommes d��sol��s de n'avoir pas mieux �� vous offrir pour cette nuit.
Le pr��tre salua, et Marthe rencontra de nouveau ce regard clair, ce regard d'aigle qui l'avait ��motionn��e. Il semblait qu'au fond de l'oeil, d'un gris morne d'ordinaire, une flamme passat brusquement, comme ces lampes qu'on prom��ne derri��re les fa?ades endormies des maisons.
--Il a l'air de ne pas avoir froid aux yeux, le cur��, dit railleusement Mouret, quand la m��re et le fils ne furent plus l��.
--Je les crois peu heureux, murmura Marthe.
--Pour ?a, il n'apporte certainement pas le P��rou dans sa malle.... Elle est lourde, sa malle! Je l'aurais soulev��e du bout de mon petit doigt.
Mais il fut interrompu dans son bavardage par Rose, qui venait de descendre l'escalier en courant, afin de raconter les choses surprenantes qu'elle avait vues.
--Ah! bien, dit-elle en se plantant devant la table o�� mangeaient ses ma?tres, en voil�� une gaillarde! Cette dame a au moins soixante-cinq ans, et ?a ne para?t gu��re, allez! Elle vous bouscule, elle travaille comme un cheval.
--Elle t'a aid��e �� d��m��nager les fruits? demanda curieusement Mouret.
--Je crois bien, monsieur. Elle emportait les fruits comme ?a, dans son tablier; des charges �� tout casser. Je me disais: ?Bien s?r, la robe va y rester.? Mais pas
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