La Confession de Talleyrand, V. 1-5 | Page 6

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
Et Maximes.
On a fait de moi un diseur de bons mots. Je n'ai jamais dit un bon mot
de ma vie; mais je tâche de dire, après mûre réflexion, sur beaucoup de
choses, le mot juste.
Je ne puis accepter cette réputation de faiseur de Nouvelles à la main au
gros sel plus ou moins attique, telles que le Mercure du dix-neuvième
siècle les a recueillies dans le Talleyrandana et l'Album perdu. Il eût été
plus simple de les ajouter à un ouvrage que j'ai sur ma table et que je
m'amuse souvent à feuilleter: L'Improvisateur, Recueil d'anecdotes et
de bons mots, en 21 volumes in-12. C'est un Répertoire qui ne donnera
jamais de l'esprit à personne, mais où on trouve des traits d'emprunt à
placer dans la conversation, comme les lieux-communs de la rhétorique
dans un discours.
On m'a ainsi attribué ces anas à l'usage des oisifs qui les apprennent par
coeur, et on m'a chargé de tout le petit esprit des salons de Paris et de la
province. Si on ne prête qu'aux riches, encore faut-il que ce ne soit pas
de la fausse monnaie; il en est dont j'accepterais assez volontiers la
paternité, parce qu'ils caractérisent un homme ou un événement. Mais
rien ne dure comme un préjugé ou une légende; j'ai bien peur que le
vulgaire ne me juge sur cette surface; cependant les esprits d'élite
verront bien que le mien est d'une autre étoffe.
L'esprit n'est pas toujours un feu de cheminée, brillant comme sa
flamme et qui s'envole avec ses étincelles, c'est parfois un flambeau
qu'on ne promène pas sur deux siècles sans brûler des barbes
vénérables et roussir quelques perruques. C'est aussi une arme de

combat à deux tranchants, qu'il faut savoir manier comme un joujou
pour ne pas se blesser. La flèche ne revient pas sur l'arc et, quand un
mot est lâché, il est inutile de courir après; mais ces traits n'étaient pas
lancés pour courir les ruelles avec les nouvelles du jour, et les sottises
vont loin quand elles ont des ailes de papier.
L'esprit est une ressource; il sert à tout et ne mène à rien. Le silence m'a
beaucoup mieux réussi. Mon esprit ne m'a servi qu'à faire hardiment
des sottises pour réparer celles des autres; mais je suis trop vieux
serpent pour changer de peau. Si c'était à recommencer, je
recommencerais, peut-être autrement, et je tomberais de Charybde en
Scylla.
Toute ma vie se résume dans mon Bréviaire. Il renferme l'ensemble des
Principes et des Maximes des moralistes et des philosophes qui ont
dirigé mes actes et ma conduite. Il ne me quitte jamais; je l'ai dans la
tête et le voici:
Celui qui est hors de la danse sait bien des chansons.
Les méthodes sont les maîtres des maîtres.
L'Évangile anglais: «Fais aux autres ce qu'ils te font.»
Je n'oublie rien et je ne pardonne pas.
Il y a des fautes que j'excuse et des passions que je pardonne, ce sont
les miennes.
L'inertie est une vertu, l'activité est un vice. Savoir attendre est une
habileté en politique; la patience a fait souvent les grandes positions.
On doit être actif quand l'occasion passe; on peut être paresseux et
nonchalant quand on l'attend.
Il y a des occasions qui ont un faux chignon; quand on veut le saisir, il
vous reste dans la main.
Pour prendre un parti, il faut d'abord savoir si celui qui nous

conviendrait sera assez fort pour justifier l'espérance du succès, sans
quoi il y aurait folie à se mêler de la partie.
Laplace, dans sa théorie scientifique, n'a pas eu besoin de Dieu, cette
hypothèse; dans mon système politique, je me suis passé de la morale,
où le coeur est la dupe de l'esprit.
Il faut traiter légèrement les grandes affaires et les choses d'importance,
et sérieusement les plus frivoles et les plus inutiles. Cette méthode a
l'avantage que les esprits ordinaires ne peuvent s'en servir.
Tout le monde peut être utile; personne n'est indispensable.
On n'est jamais indépendant des hommes, surtout dans une condition
élevée.
Les hommes sont comme les statues, il faut les voir en place.
Un homme médiocre dans l'élévation est placé sur une éminence, du
haut de laquelle tout le monde lui paraît petit et d'où il paraît petit à tout
le monde.
L'art de mettre les hommes à leur place est le premier peut-être dans la
science du gouvernement; mais celui de trouver la place des
mécontents est à coup sûr le plus difficile; et présenter à leur
imagination des lointains, des perspectives où puissent se prendre leurs
pensées et leurs désirs, est je crois, une des solutions de cette difficulté
sociale.
Les présomptueux se présentent; les hommes d'un vrai mérite aiment à
être requis.
Quand vient la fortune, les petits hommes se redressent, les grands
hommes se
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