qui avait rempli le poste de premier secrétaire pendant l'ambassade du prince à Londres. M. de Bacourt, à son tour, les a légués à MM. Andral et Chatelain, et M. Andral m'a désigné comme légataire de la part de cette propriété qui lui appartenait.
Aucune partie de ce legs n'a pu en être distraite sans le consentement des propriétaires.
Nous ignorons donc absolument, M. Chatelain et moi, quelles peuvent être la nature et l'origine du manuscrit dont l'auteur de l'article du Times a eu connaissance.
Tous ceux qui ont été en relation avec M. de Talleyrand lui-même ou ses héritiers savent que beaucoup des papiers du prince avaient été dérobés, de son vivant, par un secrétaire infidèle qui, ayant acquis l'art de contrefaire habilement son écriture, ne s'est pas fait scrupule de les altérer et d'y mêler des pièces entièrement fausses.
Le fait est rapporté avec des détails tout à fait exacts dans le fragment des Souvenirs de M. de Barante inséré dans le numéro du 15 mai de la Revue des Deux-Mondes, et il suffit pour mettre les lecteurs en garde contre tous les documents de source inconnue qui pourraient être mis en circulation sous le nom de M. de Talleyrand.
D'ailleurs, les dispositions testamentaires de M. de Talleyrand sont si explicites qu'aucun de ses papiers ne peut être publié sans le concours de ses légataires. Tout essai de publication de ce genre serait légalement interdit.
BROGLIE. 2 juin 1890.
Grand' Maman,--c'est le nom du Times dans la Cité,--n'a pas l'illusion de croire qu'il a eu la primeur des Mémoires de Talleyrand. Bien d'autres avant lui ont eu cette bonne fortune, et les Mémoires de Madame de Rémusat en ont donné un avant-go?t.
La constante préoccupation du Prince-diplomate a été le kant anglais: ?Je n'ai qu'une peur, c'est celle des inconvenances.? Cette crainte, Canaille, tant qu'on voudra, mauvais genre, jamais, a été le principe de ses actes et la règle de sa vie, et sa fin ne l'a pas démentie: ?M. de Talleyrand est mort en homme qui sait vivre.?
Il était facile de prévoir que ses Mémoires montreraient une figure de cire, le masque blafard du comédien politique sur la scène et du courtisan gentilhomme en costume de cour, engoncé dans l'entonnoir blanc d'un vaste col émergeant de la haute cravate du Directoire, comme un bouquet fané dans son cornet de papier, avec la grimace figée d'un singe sacerdotal, la pose disloquée d'un clown glacial, arrangé, coiffé, grimé, la quille raide devant l'histoire et la postérité, sur le seuil du vingtième siècle. Cette prévision s'est réalisée, et ces souvenirs du Vétéran de la diplomatie ne sont autre chose que le Mémorial des cours européennes, le Bulletin des cabinets et les Annales des chancelleries.
Si on veut conna?tre Talleyrand, il ne faut pas le chercher dans la Copie de ses Mémoires, il n'y est pas, et il ne sera pas davantage dans le Manuscrit autographe, s'il se retrouve, mais dans les Mémoires et les Souvenirs de ses contemporains, qui l'ont connu et qui l'ont jugé. C'est là que nous l'avons découvert, comme on peut s'en assurer en consultant les ouvrages suivants:
Extraits des Mémoires de Talleyrand (Apocriphes). Paris, 1838.--Mémoires tirés des papiers d'un Homme d'état.--Mémoires de Chateaubriand, Beugnot, Madame de Rémusat, Rovigo, Roederer, Mio de Mélito, Guizot, etc.--Méneval, Napoléon et Marie-Louise.--Capefigue, Les Cent-Jours et Les Diplomates européens.--Divers historiens: Louis Blanc, Histoire de dix ans; Thiers, Le Consulat et l'Empire, etc.--Barante, études historiques.--Mignet, Notices et Portraits. éloge académique de M. de Talleyrand.--Salle, Vie politique du Prince de Talleyrand.--Dufour de la Thuilerie, Histoire de la vie et de la mort du Prince de Talleyrand.--L. Bastide, Vie politique et religieuse de Talleyrand.--F. D. Comte de ***, Le Prince de Talleyrand.--Gagern, Ma part dans la politique, Talleyrand et ses rapports avec les Allemands.--Lamartine, Cours familier de littérature, M. de Talleyrand.--Sainte-Beuve, Monsieur de Talleyrand.--Sarrat et Saint-Edme, Loménie, Rabbe, etc.--Le Prince de Talleyrand et La Maison d'Orléans.--Le Journal de Thomas Raikes, Londres, 1857.--Essai sur Talleyrand, par sir Henry Lytton-Bulwer, etc.
Dans sa Confession, il se laisse voir en déshabillé, en chenille, tel qu'il est, à visage découvert et en pleine lumière, et non comme il se présente, maquillé, dans le demi-jour discret d'un salon de douairière. à c?té de l'histoire morte, solennelle et menteuse des Mémoires, elle offre la chronique vivante, naturelle et vraie des confidences; il dit tout ce qu'il devait taire, il révèle tout ce qu'il devait tenir à dissimuler, en vertu de son principe d'hygiène: ?Le grand jour ne me convient pas.?
Ce n'est pas seulement le pastiche d'une Autobiographie, c'est le Roman mouvant et vivant des Hommes et des Choses du dix-huitième et du dix-neuvième siècles, au milieu desquels il a vécu, de 1754 à 1838, de Louis XV à Louis-Philippe. C'est aussi la notation historique de la partie d'échecs jouée sur le damier européen par la France républicaine contre la coalition des monarchies,
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