La Chartreuse de Parme | Page 9

Stendhal
comte avait refus�� de prendre du service en Autriche; on fit valoir ce refus, et, quelques mois apr��s la mort de Prina, les m��mes personnages qui avaient pay�� les assassins obtinrent que le g��n��ral Pietranera serait jet�� en prison. Sur quoi la comtesse, sa femme, prit un passeport et demanda des chevaux de poste pour aller �� Vienne dire la v��rit�� �� l'empereur. Les assassins de Prina eurent peur, et l'un d'eux, cousin de Mme Pietranera, vint lui apporter �� minuit, une heure avant son d��part pour Vienne, l'ordre de mettre en libert�� son mari. Le lendemain, le g��n��ral autrichien fit appeler le comte Pietranera, le re?ut avec toute la distinction possible, et l'assura que sa pension de retraite ne tarderait pas �� ��tre liquid��e sur le pied le plus avantageux. Le brave g��n��ral Bubna, homme d'esprit et de coeur, avait l'air tout honteux de l'assassinat de Prina et de la prison du comte.
Apr��s cette bourrasque, conjur��e par le caract��re ferme de la comtesse, les deux ��poux v��curent, tant bien que mal, avec la pension de retraite, qui, grace �� la recommandation du g��n��ral Bubna, ne se fit pas attendre.
Par bonheur, il se trouva que, depuis cinq ou six ans, la comtesse avait beaucoup d'amiti�� pour un jeune homme fort riche, lequel ��tait aussi ami intime du comte, et ne manquait pas de mettre �� leur disposition le plus bel attelage de chevaux anglais qui f?t alors �� Milan, sa loge au th��atre de la Scala, et son chateau �� la campagne. Mais le comte avait la conscience de sa bravoure, son ame ��tait g��n��reuse, il s'emportait facilement, et alors se permettait d'��tranges propos. Un jour qu'il ��tait �� la chasse avec des jeunes gens, l'un d'eux, qui avait servi sous d'autres drapeaux que lui, se mit �� faire des plaisanteries sur la bravoure des soldats de la r��publique cisalpine; le comte lui donna un soufflet, l'on se battit aussit?t, et le comte, qui ��tait seul de son bord, au milieu de tous ces jeunes gens, fut tu��. On parla beaucoup de cette esp��ce de duel, et les personnes qui s'y ��taient trouv��es prirent le parti d'aller voyager en Suisse.
Ce courage ridicule qu'on appelle r��signation, le courage d'un sot qui se laisse pendre sans mot dire, n'��tait point �� l'usage de la comtesse. Furieuse de la mort de son mari, elle aurait voulu que Limercati, ce jeune homme riche, son ami intime, pr?t aussi la fantaisie de voyager en Suisse, et de donner un coup de carabine ou un soufflet au meurtrier du comte Pietranera.
Limercati trouva ce projet d'un ridicule achev��, et la comtesse s'aper?ut que chez elle le m��pris avait tu�� l'amour. Elle redoubla d'attention pour Limercati; elle voulait r��veiller son amour, et ensuite le planter l�� et le mettre au d��sespoir. Pour rendre ce plan de vengeance intelligible en France, je dirai qu'�� Milan, pays fort ��loign�� du n?tre, on est encore au d��sespoir par amour. La comtesse, qui, dans ses habits de deuil, ��clipsait de bien loin toutes ses rivales, fit des coquetteries aux jeunes gens qui tenaient le haut du pav��, et l'un d'eux, le comte N..., qui, de tout temps, avait dit qu'il trouvait le m��rite de Limercati un peu lourd, un peu empes�� pour une femme d'autant d'esprit, devint amoureux fou de la comtesse. Elle ��crivit �� Limercati :

Voulez-vous agir une fois en homme d'esprit? Figurez-vous que vous ne m'avez jamais connue.
Je suis, avec un peu de m��pris peut-��tre, votre tr��s humble servante.
Gina Pietranera.
A la lecture de ce billet, Limercati partit pour un de ses chateaux; son amour s'exalta, il devint
fou, et parla de se br?ler la cervelle, chose inusit��e dans les pays �� enfer. D��s le lendemain de son arriv��e �� la campagne, il avait ��crit �� la comtesse pour lui offrir sa main et ses deux cent mille livres de rente. Elle lui renvoya sa lettre non d��cachet��e par le groom du comte N... Sur quoi Limercati a pass�� trois ans dans ses terres, revenant tous les deux mois �� Milan, mais sans avoir jamais le courage d'y rester, et ennuyant tous ses amis de son amour passionn�� pour la comtesse, et du r��cit circonstanci�� des bont��s que jadis elle avait pour lui. Dans les commencements, il ajoutait qu'avec le comte N... elle se perdait, et qu'une telle liaison la d��shonorait.
Le fait est que la comtesse n'avait aucune sorte d'amour pour le comte N..., et c'est ce qu'elle lui d��clara quand elle fut tout �� fait s?re du d��sespoir de Limercati. Le comte, qui avait de l'usage, la pria de ne point divulguer la triste v��rit�� dont elle lui faisait confidence:
- Si vous avez l'extr��me indulgence, ajouta-t-il, de continuer �� me recevoir avec toutes les distinctions ext��rieures accord��es �� l'amant r��gnant, je trouverai peut-��tre une place convenable.
Apr��s cette d��claration h��ro?que, la comtesse
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 225
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.