La Chartreuse de Parme | Page 8

Stendhal
toute la troupe prit tellement l'habitude des pr��sages, que si, au moment de s'embarquer, on apercevait sur la c?te un pr��tre, ou si l'on voyait un corbeau s'envoler �� main gauche', on se hatait de remettre le cadenas �� la cha?ne du bateau, et chacun allait se recoucher. Ainsi l'abb�� Blan��s n'avait pas communiqu�� sa science assez difficile �� Fabrice, mais �� son insu il lui avait inocul�� une confiance illimit��e dans l��s signes qui peuvent pr��dire l'avenir.
Le marquis sentait qu'un accident arriv�� �� sa correspondance chiffr��e pouvait le mettre �� la merci de sa soeur; aussi tous les ans, �� l'��poque de la Sainte-Angela, f��te de la comtesse Pietranera Fabrice obtenait la permission d'aller passer huit jours �� Milan. Il vivait toute l'ann��e dans l'esp��rance ou le regret de ces huit jours. En cette grande occasion, pour accomplir ce voyage politique, le marquis remettait �� son fils quatre ��cus et, suivant l'usage, ne donnait rien �� sa femme, qui le menait. Mais un des cuisiniers, six laquais et un cocher avec deux chevaux, partaient pour C?me, la veille du voyage, et chaque jour, �� Milan, la marquise trouvait une voiture �� ses ordres, et un d?ner de douze couverts.
Le genre de vie boudeur que menait le marquis del Dongo ��tait assur��ment fort peu divertissant; mais il avait cet avantage qu'il enrichissait �� jamais les familles qui avaient la bont�� de s'y livrer. Le marquis, qui avait plus de deux cent mille livres de rente, n'en d��pensait pas le quart, il vivait d'esp��rances. Pendant les treize ann��es de 1800 �� 1813, il crut constamment et fermement que Napol��on serait renvers�� avant six mois. Qu'on juge de son ravissement quand, au commencement de 1813, il apprit les d��sastres de la B��r��sina! La prise de Paris et la chute de Napol��on faillirent lui faire perdre la t��te; il se permit alors les propos les plus outrageants envers sa femme et sa soeur. Enfin, apr��s quatorze ann��es d'attente, il eut cette joie inexprimable de voir les troupes autrichiennes rentrer dans Milan. D'apr��s les ordres venus de Vienne, le g��n��ral autrichien re?ut le marquis del Dongo avec une consid��ration voisine du respect; on se hata de lui offrir une des premi��res places dans le gouvernement, et il l'accepta comme le paiement d'une dette. Son fils a?n�� eut une lieutenance dans l'un des plus beaux r��giments de la monarchie; mais le second ne voulut jamais accepter une place de cadet qui lui ��tait offerte. Ce triomphe, dont le marquis jouissait avec une insolence rare, ne dura que quelques mois, et fut suivi d'un revers humiliant. Jamais il n'avait eu le talent des affaires, et quatorze ann��es pass��es �� la campagne, entre ses valets, son notaire et son m��decin, jointes �� la mauvaise humeur de la vieillesse qui ��tait survenue, en avaient fait un homme tout �� fait incapable. Or, il n'est pas possible, en pays autrichien, de conserver une place importante sans avoir le genre de talent que r��clame l'administration lente et compliqu��e, mais fort raisonnable, de cette vieille monarchie. Les b��vues du marquis del Dongo scandalisaient les employ��s et m��me arr��taient la marche des affaires. Ses propos ultra-monarchiques irritaient les populations qu'on voulait plonger dans le sommeil et l'incurie. Un beau jour, il apprit que Sa Majest�� avait daign�� accepter gracieusement la d��mission qu'il donnait de son emploi dans l'administration, et en m��me temps lui conf��rait la place de second grand majordome major du royaume lombardo-v��nitien. Le marquis fut indign�� de l'injustice atroce dont il ��tait victime; il fit imprimer une lettre �� un ami, lui qui ex��crait tellement la libert�� de la presse. Enfin il ��crivit �� l'empereur que ses ministres le trahissaient, et n'��taient que des jacobins. Ces choses faites, il revint tristement �� son chateau de Grianta. Il eut une consolation. Apr��s la chute de Napol��on, certains personnages puissants �� Milan firent assommer dans les rues le comte Prina, ancien ministre du roi d'Italie, et homme du premier m��rite'. Le comte Pietranera exposa sa vie pour sauver celle du ministre, qui fut tu�� �� coups de parapluie, et dont le supplice dura cinq heures. Un pr��tre, confesseur du marquis del Dongo, e?t pu sauver Prina en lui ouvrant la grille de l'��glise de San Giovanni, devant laquelle on tra?nait le malheureux ministre, qui m��me un instant fut abandonn�� dans le ruisseau, au milieu de la rue, mais il refusa d'ouvrir sa grille avec d��rision, et, six mois apr��s, le marquis eut le bonheur de lui faire obtenir un bel avancement.
Il ex��crait le comte Pietranera, son beau-fr��re, lequel, n'ayant pas cinquante louis de rente, osait ��tre assez content, s'avisait de se montrer fid��le �� ce qu'il avait aim�� toute sa vie, et avait l'insolence de pr?ner cet esprit de justice sans acceptation de personnes, que le marquis appelait un jacobinisme infame. Le
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