avec franchise, avec douceur, avec bonté
même. Ne haïssez donc point Giovanna, et restez son amie comme je
reste son serviteur. Allez éveiller votre tante; priez-la de vous mettre
vos plus beaux habits, et de venir avec vous et avec moi à la noce de
Giovanna Morosini.»
Grande fut la surprise de la tante lorsque la jeune fille consternée vint
lui déclarer les intentions du comte. Mais elle l'aimait tendrement; elle
croyait en lui et vainquit sa répugnance. Ces deux femmes, richement
parées, la vieille avec tout le luxe majestueux et lourd de l'antique
noblesse, la jeune avec tout le goût et toute la grâce de son âge,
accompagnèrent Ezzelin à l'église Saint-Marc.
Leurs préparatifs avaient duré assez long temps pour que la messe et la
cérémonie du mariage fussent déjà terminées lorsque Ezzelin parut
avec elles sur le seuil de la basilique. Il se trouva donc face à face en
entrant avec Giovanna Morosini et Orio Soranzo, qui sortaient en
grande pompe se tenant par la main. Giovanna était véritablement une
perle de beauté, une perle d'Orient, comme on disait en ce temps-là, et
les roses blanches de sa couronne étaient moins pures et moins fraîches
que le front qu'elles ceignaient de leur diadème virginal. Le plus beau
de tous les pages portait les longs plis de sa robe de drap d'argent, et
son corsage était serré dans un réseau de diamants. Mais ni sa beauté ni
sa parure n'éblouirent la jeune Argiria. Non moins belle et non moins
parée, elle serra fortement le bras de son frère et marcha d'un pas assuré
à la rencontre de Giovanna. Son attitude fière, son regard plein de
reproche et son sourire un peu amer troublèrent Giovanna Soranzo. Elle
devint pâle comme la mort en voyant le frère et la soeur, l'un muet et
calme comme un désespoir sans ressource, l'autre qui semblait être
l'expression vivante de l'indignation concentrée d'Ezzelin. Orio sentit
défaillir sa jeune épouse, et ne sembla pas voir Ezzelin; mais son
attention se porta tout entière sur la jeune Argiria, et il fixa sur elle un
regard étrange, mêlé d'ardeur, d'admiration et d'insolence. Argiria fut
aussi troublée de ce regard que Giovanna l'avait été du sien. Elle
s'appuya tremblante sur le bras d'Ezzelin, et prit ce qu'elle éprouvait
pour de la haine et de la colère.
Morosini, s'avançant alors à la rencontre d'Ezzelin, le serra dans ses
bras, et les témoignages d'affection qu'il lui donna semblèrent une
protestation contre la préférence que Giovanna avait donnée à Soranzo.
Le cortége s'arrêta, et les curieux se pressèrent pour voir cette scène
dans laquelle ils espéraient trouver l'explication du dénoûment
inattendu des amours d'Ezzelin et de Giovanna. Mais les amateurs de
scandale se retirèrent mal contents. Où l'on s'attendait à un échange de
provocations et à des dagues hors du fourreau, on ne vit qu'embrassades
et protestations. Morosini baisa la main de la signora Memmo et le
front d'Argiria, qu'il avait coutume de traiter comme sa fille; puis il
l'attira doucement, et cette aimable fille, ne pouvant résister à la prière
tacite du vénérable général, s'approcha tout à fait de Giovanna. Celle-ci
s'élança vers son ancienne amie et l'embrassa avec une irrésistible
effusion. En même temps elle tendit la main à Ezzelin, qui la baisa d'un
air respectueux et calme en lui disant tout bas: «Madame; êtes-vous
contente de moi?--Vous êtes à jamais mon ami et mon frère,» lui dit
Giovanna. Elle entraîna Argiria avec elle, et Morosini, offrant sa main à
la signora Memmo, entraîna aussi Ezzelin en s'appuyant sur son bras.
C'est ainsi que le cortége se remit en marche, et gagna les gondoles au
son des fanfares et aux acclamations du peuple qui jetait des fleurs sur
le passage de la mariée en échange des grandes largesses distribuées
par elle à la porte de la basilique. Il n'y eut donc pas lieu cette fois à
gloser sur les infortunes d'un amant rebuté, non plus que sur le
triomphe d'un amant préféré. On remarqua seulement que les deux
rivaux étaient fort pâles, et que, placés à deux pas l'un de l'autre,
s'effleurant à chaque instant et entre-croisant leurs paroles avec les
mêmes interlocuteurs, ils mettaient une admirable persévérance à ne
pas voir le visage et à ne pas entendre la voix l'un de l'autre.
Lorsqu'on fut rendu au palais Morosini, le premier soin du général fut
d'emmener à part le comte et sa famille, et de leur exprimer
chaleureusement sa reconnaissance pour leur magnanime témoignage
de réconciliation. «Nous avons dû agir ainsi, répondit Ezzelin avec une
dignité respectueuse, et il n'a pas tenu à moi que, dès les premiers jours
de notre rupture, ma noble tante ne fît les premiers pas vers la signora
Giovanna. Au reste, j'ai été lâche peut-être en me retirant à la campagne
comme je l'ai fait. Ma
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