s'être bien
consulté, il ne vit pour lui que trois partis à prendre: le premier était de
se casser la tête et de laisser ses créanciers se débrouiller comme ils
pourraient au milieu des débris épars de sa fortune; le second, de se
faire moine; le troisième, de mettre ordre à ses affaires, et d'aller
ensuite guerroyer contre les Turcs. Ce fut ce dernier parti qu'il prit, se
disant qu'il valait mieux casser la tête aux autres qu'à soi-même, et que
d'ailleurs il était toujours temps d'en venir là. Il vendit donc tous ses
biens, paya ses dettes, et, avec ses derniers deniers, qui ne l'auraient pas
fait vivre deux mois, il équipa et arma une galère, et partit à la
rencontre des infidèles. Il leur fit payer cher les folies de sa jeunesse.
Tous ceux qui se trouvèrent sur sa route furent attaqués, pillés,
massacrés. En peu de temps sa petite galère devint la terreur de
l'Archipel. A la fin de la campagne, il revint à Venise avec une brillante
réputation de capitaine. Le doge, voulant lui témoigner la satisfaction
de la république pour tous les services qu'il avait rendus, lui confia,
pour l'année suivante, un poste important dans la flotte commandée par
le célèbre Francesco Morosini. Celui-ci, qui l'avait vu en maintes
occasions accomplir les plus étranges prouesses, enchanté de ses talents
et de son audace, l'avait pris en grande amitié. Orio sentit d'abord tout
le parti qu'il pouvait tirer de cette liaison pour son avancement
personnel. Il ne négligea donc aucun moyen de la resserrer davantage,
et, grâce à son esprit, il réussit à devenir d'abord le favori du général, et
bientôt après son parent.
Morosini avait une nièce âgée d'environ dix-huit ans, belle et bonne
comme un ange, sur laquelle il avait porté toutes ses affections, et qu'il
traitait comme sa fille. Après la gloire de la république, rien au monde
ne lui était plus cher que le bonheur de cette enfant adorée. Aussi lui
laissait-il en tout et toujours faire sa volonté. Et lorsque, traitant son
extrême complaisance de faiblesse dangereuse, on lui reprochait de
gâter sa nièce, il répondait qu'il avait été mis sur la terre pour batailler
contre les Turcs, et non contre sa bien-aimée Giovanna; que les
vieillards avaient bien assez de leur âge à se faire pardonner, sans y
ajouter l'ennui des longs sermons et des tristes remontrances; que
d'ailleurs les diamants ne se gâtaient jamais, quoi qu'on fît, et que
Giovanna était le plus précieux diamant de toute la terre. Il laissa donc
à la jeune fille, dans le choix d'un mari comme dans toutes les autres
choses, la plus complète liberté, ses grandes richesses lui permettant de
ne pas regarder à la fortune de l'homme qu'elle voudrait épouser.
Parmi les nombreux prétendants qui s'étaient présentés, Giovanna avait
distingué le jeune comte Ezzelino, de la famille des princes de Padoue,
dont le noble caractère et la bonne renommée soutenaient dignement
l'illustre nom. Toute jeune et tout inexpérimentée qu'elle fût, elle avait
bien vite reconnu qu'il n'était pas poussé vers elle, comme tous les
autres, par des raisons d'orgueil ou d'intérêt, mais bien par une tendre
sympathie et un amour sincère. Aussi l'en avait-elle déjà récompensé
par le don de son estime et de son amitié. Elle donnait même déjà le
nom d'amour à ce qu'elle éprouvait pour lui, et le comte Ezzelino se
flattait d'avoir allumé une passion semblable à celle qu'il nourrissait.
Déjà Morosini avait donné son consentement à ce noble hyménée; déjà
les joailliers et les fabricants d'étoffes préparaient leurs plus précieuses
et leurs plus rares marchandises pour la toilette de la mariée; déjà tout
le quartier aristocratique del Castello s'apprêtait à passer plusieurs
semaines dans les fêtes. De toutes parts on ornait les gondoles, on
renouvelait les toilettes, et c'était à qui se chercherait un degré de
parenté avec l'heureux fiancé qui allait posséder la plus belle femme et
ouvrir la maison la plus brillante de Venise. Le jour était fixé, les
invitations étaient faites; il n'était bruit que de l'illustre mariage. Tout
d'un coup une nouvelle étrange circula. Le comte Ezzelin avait
suspendu tous les préparatifs; il avait quitté Venise. Les uns le disaient
assassiné; d'autres prétendaient que, sur un ordre du conseil des dix, il
venait d'être envoyé en exil. Pourquoi donnait-on à son absence des
motifs sinistres? Le bruit et l'agitation régnaient toujours au palais
Morosini; on continuait les apprêts de la noce, et aucune invitation
n'était retirée. La belle Giovanna était partie pour la campagne avec son
oncle; mais au jour fixé pour la célébration de son mariage, elle devait
revenir. Le général écrivait ainsi à ses amis, et les engageait à se réjouir
du bonheur de sa famille.
D'un autre côté, des gens dignes de foi avaient récemment rencontré le
comte Ezzelin aux environs
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