LOrco | Page 4

George Sand
parti de retourner chez lui. Il
suivit donc la rue à droite, se trouva en effet, au bout de quelques
minutes, sur la place Saint-Marc, et de là regagna facilement son hôtel.
Le lendemain il fut fidèle au rendez-vous. Il arriva sur la place comme
l'horloge de l'église sonnait onze heures. Il vit la femme masquée, qui
l'attendait debout sur les marches du portail.
«C'est bien, lui dit-elle, vous êtes exact. Entrons.»

En disant cela, elle se retourna brusquement vers l'église. Franz, qui
voyait la porte fermée, et qui savait qu'elle ne s'ouvrait pour personne la
nuit, crut que cette femme était folle. Mais quelle ne fut pas sa surprise
en voyant que la porte cédait au premier effort! Il suivit machinalement
son guide, qui referma rapidement la porte après qu'il fut entré. Ils se
trouvaient alors tous deux dans les ténèbres; mais Franz, se rappelant
qu'une seconde porte, sans serrure, le séparait encore de la nef, ne
conçut aucune inquiétude, et s'apprêta à la pousser devant lui pour
entrer. Mais elle l'arrêta par le bras.
«Êtes-vous jamais venu dans cette église? lui demanda-t-elle
brusquement.
--Vingt fois, répondit-il, et je la connais aussi bien que l'architecte qui
l'a bâtie.
--Dites que vous croyez la connaître, car vous ne la connaissez
réellement pas encore. Entrez.»
Franz poussa la seconde porte et pénétra dans l'intérieur de l'église. Elle
était magnifiquement illuminée de toutes parts et complètement
déserte.
«Quelle cérémonie va-t-on célébrer ici? demanda Franz stupéfait.
--Aucune. L'église m'attendait ce soir: voilà tout. Suivez-moi.»
Le comte chercha en vain à comprendre le sens des paroles que lui
adressait le masque; mais, toujours subjugué par un pouvoir mystérieux,
il le suivit avec obéissance. Elle le mena au milieu de l'église, lui en fit
remarquer, comprendre et admirer l'ordonnance générale. Puis, passant
à l'examen de chaque partie, elle lui détailla tour à tour la nef, les
colonnades, les chapelles, les autels, les statues, les tableaux, tous les
ornements; lui montra le sens de chaque chose, lui dévoila l'idée cachée
sous chaque forme, lui fit sentir toutes les beautés des oeuvres qui
composaient l'ensemble, et le fit pénétrer, pour ainsi dire, dans les
entrailles de l'église. Franz écoutait avec une attention religieuse toutes
les paroles de cette bouche éloquente qui se plaisait à l'instruire, et, de

moment en moment, reconnaissait combien peu il avait compris
auparavant cet ensemble d'oeuvres qui lui avaient semblé si faciles à
comprendre. Quand elle finit, les lueurs du matin, pénétrant à travers
les vitraux, faisaient pâlir la lueur des cierges. Quoiqu'elle eût parlé
plusieurs heures et qu'elle ne se fût pas assise un instant pendant toute
la nuit, ni sa voix ni son corps ne trahissaient aucune fatigue.
Seulement sa tête s'était penchée sur son sein, qui battait avec violence,
et semblait écouter les soupirs qui s'en exhalaient. Tout à coup elle
redressa la tête, et, levant ses deux bras au ciel, elle s'écria:
«Ô servitude! servitude!»
À ces paroles, des larmes roulant de dessous son masque allèrent
tomber sur les plis de sa robe noire.
«Pourquoi pleurez-vous? s'écria Franz en s'approchant d'elle.
--À demain, lui répondit-elle. À minuit, devant l'Arsenal.»
Et elle sortit par la porte latérale de gauche, qui se referma lourdement.
Au même moment l'Angélus sonna. Franz, saisi par le bruit inattendu
de la cloche, se retourna, et vit que tous les cierges étaient éteints. Il
resta quelque temps immobile de surprise; puis il sortit de l'église par la
grande porte, que les sacristains venaient d'ouvrir, et s'en retourna
lentement chez lui, cherchant à deviner quelle pouvait être cette femme
si hardie, si artiste, si puissante, si pleine de charme dans ses paroles et
de majesté dans sa démarche.
Le lendemain, à minuit, le comte était devant l'Arsenal. Il y trouva le
masque, qui l'attendait comme la veille, et qui, sans lui rien dire, se mit
à marcher rapidement devant lui. Franz le suivit comme les deux nuits
précédentes. Arrivé devant une des portes latérales de droite, le masque
s'arrêta, introduisit dans la serrure une clef d'or que Franz vit briller aux
rayons de la lune, ouvrit sans faire aucun bruit, et entra la première, en
faisant signe à Franz d'entrer après elle. Celui-ci hésita un instant.
Pénétrer la nuit dans l'Arsenal, à l'aide d'une fausse clef, c'était
s'exposer à passer devant un conseil de guerre, si l'on était découvert; et
il était presque impossible de ne pas l'être dans un endroit peuplé de

sentinelles. Mais, en voyant le masque s'apprêter à refermer la porte
devant lui, il se décida tout d'un coup à poursuivre l'aventure jusqu'au
bout, et entra. La femme masquée lui fit traverser d'abord plusieurs
cours, ensuite des corridors et des galeries, dont elle ouvrait toutes les
portes avec sa clef d'or, et finit par l'introduire dans de vastes salles
remplies d'armes de tout genre et de tout
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