LImmortel | Page 3

Alphonse Daudet
sculptures, s'��tonnant sans col��re de l'abstention du public. Mais Mme Astier ne riait pas: ce premier superbe vacant depuis deux ans!... Rue Fortuny? un quartier magnifique, une maison style Louis XII... batie par son fils, enfin!... Qu'est-ce qu'ils demandaient donc?... Eux, ils, probablement les m��mes qui n'allaient pas chez V��drine... Et cassant entre ses dents le fil de sa couture:
?C'est pourtant une bonne affaire!
--Excellente, mais il faudrait de l'argent pour la soutenir...? Le Cr��dit Foncier prenait tout... puis, les entrepreneurs qui lui tombaient sur le dos... 10,000 francs de menuiserie �� payer �� la fin du mois, dont il n'avait pas le premier louis.
La m��re, qui passait son corsage devant la glace, palit et se vit palir. Frisson de duel quand l'arme en face se l��ve et vous vise.
?Tu as touch�� la restauration de Mousseaux?
--Mousseaux! Il y a beau temps.
--Et le tombeau des Rosen?
--Toujours l��... V��drine n'en finit pas avec sa statue.
--Aussi pourquoi V��drine? ton p��re te l'avait bien dit...
--Oui, je sais... C'est leur b��te noire, �� l'Institut...?
Il se leva, s'agitant par la chambre:
?Tu me connais, voyons! Je suis un homme pratique... Si j'ai pris celui-l�� pour ma figure, probable que j'avais mon id��e.?
Et brusquement retourn�� vers sa m��re:
?Tu ne les as pas, toi, mes dix mille francs??
Voil�� ce qu'elle attendait depuis qu'il ��tait entr��; il ne venait jamais la voir que pour cela.
?Dix mille francs?... Comment veux-tu?...?
Sans parler davantage, le navrement de la bouche et du regard signifiait clairement ceci: ?Tu sais bien que je t'ai tout donn��, que je m'habille de mise-bas, que je ne me suis pas achet�� un chapeau depuis trois ans, que Corentine lave mon linge �� la cuisine tellement je rougirais de donner ces friperies �� la blanchisseuse; et tu sais aussi que la pire mis��re, c'est encore de te refuser ce que tu demandes. Alors, pourquoi le demandes-tu?? Et cette objurgation muette de sa m��re ��tait si ��loquente que Paul Astier y r��pondit tout haut:
?Bien s?r, ce n'est pas �� toi que je songeais... Toi, parbleu! si tu les avais...? Puis avec son air de blague froide:
?Mais, le ma?tre, l��-haut... Peut-��tre que tu obtiendrais... Tu sais si bien le prendre!
--Plus maintenant, c'est fini.
--Mais pourtant, il travaille, ses livres se vendent, vous ne d��pensez rien...?
Il inspectait, dans le demi-jour, la d��tresse de ce vieil ameublement, rideaux pass��s, tapis rap��s, non renouvel��s depuis trente ans, depuis leur mariage. O�� passait donc tout son argent? ?Ah ?a!... est-ce que par hasard l'auteur de mes jours ferait la vie!...? C'��tait si ��norme, si invraisemblable, L��onard Astier-R��hu faisant la vie, que sa femme ne put s'emp��cher de rire �� travers sa tristesse. Non, pour cela, elle pensait qu'on pouvait ��tre tranquille: ?Seulement, que veux-tu? il se cache, il se m��fie... le paysan terre ses sous, nous lui en avons trop fait.? Ils parlaient tout bas, en complices, les yeux sur le tapis.
?Et bon papa? fit Paul sans conviction, si tu essayais?...
--Bon papa? tu es fou!...?
Il le connaissait pourtant bien, le vieux R��hu et son ��go?sme farouche de quasi-centenaire qui les e?t tous regard��s mourir plut?t que de se priver d'une prise de tabac, d'une seule des ��pingles dont les revers de sa redingote ��taient toujours piqu��s. Ah! le pauvre enfant, fallait-il qu'il f?t �� bout pour qu'une id��e pareille lui v?nt!
?Voyons!... veux-tu que je demande?...
--A qui?
--Rue de Courcelles... En avance sur le tombeau.
--Je te le d��fends bien, par exemple!? Il lui parlait en ma?tre, les l��vres pales, l'oeil mauvais; puis de suite reprenant sa mine ferm��e, un peu railleuse:
?Ne t'occupe plus de ?a... ce n'est qu'une crise �� passer... J'en ai vu bien d'autres.?
Elle lui tendit son chapeau qu'il cherchait, pr��t �� partir puisqu'il ne pouvait rien tirer d'elle; et pour le retenir quelques instants de plus, elle lui parlait d'une grosse affaire en train, un mariage dont on l'avait charg��e.
A ce mot de mariage, il tressaillit, la regarda de c?t��: ?Qui donc?? Elle avait jur�� de ne rien dire encore, mais �� lui: ?... le prince d'Athis.
--Samy!... Et avec??
Elle aussi mit de profil son petit nez de ruse:
?Tu ne la connais pas... Une ��trang��re... tr��s riche... Si je r��ussis, je pourrai t'aider... conditions faites, engagement par lettres...?
Il souriait, compl��tement rassur��:
?Et la duchesse?
--Elle ne sait rien, tu penses!
--Son Samy, son prince, une liaison de quinze ans!?
Madame Astier eut un geste atroce d'indiff��rence de femme pour une autre femme:
?Ah! tant pis. Elle a l'age...
--Quel age donc?
--Elle est de 1827. Nous sommes en 80... Ainsi, compte. Juste un an de plus que moi.
--La duchesse!? fit Paul stup��fait. Et la m��re riant:
?Eh oui! malhonn��te... Qu'est-ce qui t'��tonne? Tu la croyais, je suis s?re, vingt ans plus jeune... Mais c'est donc vrai que le plus rou�� de vous n'y conna?t rien... Enfin, tu comprends, ce pauvre prince ne pouvait pas tra?ner ce licou toute sa vie, d'autant qu'un jour ou l'autre le
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