LHumanité préhistorique | Page 2

Jacques Jean-Marie de Morgan
en son fond, c'est la main et les prolongements de la main. On ne saurait trop insister sur ce fait que, dans l'évolution de la vie, l'?instant décisif? se produit avec l'adoption par un être--qui devient l'homme--de la station debout, la libération des mains qui en résulte[5], et l'industrieuse activité que permet cette libération. Il y a dans l'usage de la main comme instrument la manifestation d'un important progrès psychique et la promesse d'importants progrès ultérieurs.
[Note 5: Voir E. De Majewski, La science de la civilisation (livre profond et original), p. 213]
L'évolution primitive du psychisme ne peut être retracée, de fa?on approximative, que d'après le rapport qui existe entre le comportement des êtres--comme dit l'actuelle psychologie zoologique[6]--et le développement du système nerveux, ou plut?t de sa fleur cérébrale. On voit, dans ?l'océan mobile des formes de vie?, le cerveau, qui assure l'harmonie interne et préside aux relations extérieures, s'accro?tre et se perfectionner, à mesure que l'organisme se complique et, non seulement s'équilibre mieux avec le monde extérieur, mais a plus de prises sur lui.
[Note 6: Voir H. Piéron, La psychologie zoologique, science du comportement animal dans le Journal de Psychologie, février et mars 1920.]
Déjà chez les insectes, au cours de la période secondaire, le cerveau avait acquis un certain volume qui répondait à ce ?savoir-faire? à peu près fixé qu'on nomme (d'un terme équivoque) l'instinct. Il y a là un psychisme inférieur, résultat (on a le droit de l'inférer) de la tendance et de la mémoire associative[7].
[Note 7: Voir E.-L. Bouvier, La Vie psychique des Insectes.] ? Au cours de la période tertiaire, le psychisme se développe remarquablement chez les vertébrés. Avec les mammifères, des fonctions variées se solidarisent et se contr?lent par l'accroissement des hémisphères cérébraux. Cet accroissement, dans un crane trop étroit, entra?ne, surtout chez les primates, des plissements, des circonvolutions. Le cerveau se modifie plus, et plus vite, que le reste du corps. ?Dans la progression des hémisphères cérébraux à travers les époques géologiques et les échelons zoologiques, c'est le lobe frontal, siège des associations les plus compliquées et des combinaisons mentales les plus appropriées, qui a grandi[8]?: il devient le centre intellectuel[9]. Le primate, chez qui est énorme le poids relatif du cerveau[10], a une faculté d'adaptation particulièrement souple; et celle-ci se manifeste surtout dans l'aptitude à la préhension de ses membres antérieurs, à pouce opposable, à ongles plats. Chez l'Hominien, les membres antérieurs, délivrés de la fonction locomotrice, sont réservés à cet office préhensile: et voici la main.
[Note 8: E. Houzé, Les étapes du lobe frontal, dans le Bull. de l'Institut de sociologie Solvay, février 1910, p. 93.]
[Note 9: Sur cette question, voir Gley, Physiologie, t. II, pp. 1081 et suiv.]
[Note 10: Le poids du cerveau étant égal à 1, le poids du corps est de 5 688 chez les Poissons, de 1 321 chez les Reptiles, de 212 chez les Oiseaux, de 100-60 chez les Anthropo?des, de 36-22 chez l'Homme. Houzé, p. 94; cf. Gley, p. 1085.]
Il est probable que, au cours de la période tertiaire, la différenciation progressive des saisons, l'absence des fruits pendant de longs mois, ont engagé certains primates, dont les membres antérieurs étaient plus courts que les postérieurs, à abandonner définitivement la vie arboricole, à se redresser, à marcher, à différencier les quatre extrémités des membres en pieds et en mains.
Le ?besoin de savoir et de voir de plus haut?, dont parle M. Perrier, tire de la station debout un avantage qui a certainement favorisé cette station. Mais le besoin de savoir, à l'origine, est tout pratique; il est greffé sur l'intérêt vital, immédiat. Comme il a provoqué la station debout et l'emploi de la main, c'est l'intérêt qui avive dans le cerveau la lumière de la conscience. La synthèse psychique produit la clarté, et la clarté augmente la puissance de synthèse. Tant bien que mal, la tendance peut se satisfaire dans la conscience la plus obscure; mais l'activité en s'éclairant devient plus s?re d'elle-même[11].
[Note 11: Voir H. WALLON, Le problème biologique de la conscience, dans la Revue Philosophique, mars-avril 1921, p. 180.]
On a remarqué justement que les animaux sont spécialistes, que leur structure, adaptée à des conditions de vie bien déterminées, tout à la fois leur a procuré certaines supériorités dans des limites étroites, et les a fixés de fa?on presque définitive. Leur psychisme n'a que des ?franges d'intelligence?. L'homme échappe à la spécialisation morphologique. Homo nudus et inermis. Son lobe frontal pourvoit à tout, et sa main est l'extériorisation active du cerveau. Sans moyens défensifs ou offensifs spéciaux, sans crocs, sans cornes, sans griffes, sans carapace, sans écailles, il a la main,--instrument fortifié par l'usage locomoteur, assoupli, affiné par la fonction préhensile, et bient?t propre aux offices les plus divers, dans les circonstances les plus variées.
La main, par des informations--tactiles et musculaires--de plus en plus précises, qui s'associent
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