LEtourdi | Page 4

Molière
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L'ETOURDI
ou
LES CONTRE-TEMPS

Comédie (1653-1658)

PERSONNAGES ACTEURS
Lélie, fils de Pandolfe. La Grange. Célie, esclave de Trufaldin. Mlle de Brie. Mascarille,
valet de Lélie. Molière. Hippolyte, fille d'Anselme. Mme Duparc. Anselme, père
d'Hippolyte. Louis Béjart. Trufaldin, vieillard. Pandolfe, père de Lélie. Béjart aîné.
Léandre, fils de famille. Andrès, cru égyptien. Ergaste, ami de Mascarille. Un courrier.
Deux troupes de masques.

La scène est à Messine.
ACTE PREMIER. -------------
Scène première. - Lélie.
- Lélie -
Eh bien ! Léandre, eh bien ! il faudra contester ; Nous verrons de nous deux qui pourra
l'emporter ; Qui, dans nos soins communs pour ce jeune miracle, Aux voeux de son rival
portera plus d'obstacle : Préparez vos efforts, et vous défendez bien, Sûr que de mon côté
je n'épargnerai rien.
-----------
Scène II. - Lélie, Mascarille.
- Lélie -
Ah ! Mascarille !
- Mascarille -
Quoi ?
- Lélie -
Voici bien des affaires ; J'ai dans ma passion toutes choses contraires : Léandre aime
Célie, et, par un trait fatal, Malgré mon changement, est encor mon rival.
- Mascarille -
Léandre aime Célie !
- Lélie -

Il l'adore, te dis-je.
- Mascarille -
Tant pis.
- Lélie -
Eh, oui, tant pis ; c'est ce qui m'afflige. Toutefois j'aurais tort de me désespérer : Puisque
j'ai ton secours, je puis me rassurer ; Je sais que ton esprit, en intrigues fertile, N'a jamais
rien trouvé qui lui fût difficile ; Qu'on te peut appeler le roi des serviteurs ; Et qu'en toute
la terre...
- Mascarille -
Eh ! trêve de douceurs, Quand nous faisons besoin, nous autres misérables, Nous sommes
les chéris et les incomparables ; Et dans un autre temps, dès le moindre courroux, Nous
sommes les coquins qu'il faut rouer de coups.
- Lélie -
Ma foi, tu me fais tort avec cette invective. Mais enfin discourons un peu de ma captive :
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments Ont rien d'impénétrable à des traits si
charmants. Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage Je vois pour sa naissance
un noble témoignage ; Et je crois que le ciel dedans un rang si bas Cache son origine, et
ne l'en tire pas.
- Mascarille -
Vous êtes romanesque avecque vos chimères ; Mais que fera Pandolfe en toutes ces
affaires ? C'est, Monsieur, votre père, au moins à ce qu'il dit : Vous savez que sa bile
assez souvent s'aigrit ; Qu'il peste contre vous d'une belle manière, Quand vos
déportements lui blessent la visière. Il est avec Anselme en parole pour vous Que de son
Hippolyte on vous fera l'époux, S'imaginant que c'est dans le seul mariage Qu'il pourra
rencontrer de quoi vous faire sage Et s'il vient à savoir que, rebutant son choix, D'un objet
inconnu vous recevez les lois, Que de ce fol amour la fatale puissance Vous soustrait au
devoir de votre obéissance, Dieu sait quelle tempête alors éclatera, Et de quels beaux
sermons on vous régalera.
- Lélie -
Ah ! trêve, je vous prie, à votre rhétorique !
- Mascarille -
Mais vous, trêve plutôt à votre politique ! Elle n'est pas fort bonne, et vous devriez
tâcher...
- Lélie -
Sais-tu qu'on n'acquiert rien de bon à me fâcher, Que chez moi les avis ont de tristes
salaires, Qu'un valet conseiller y fait mal ses affaires ?
- Mascarille -
(à part.)
Il se met en courroux.
(haut.)
Tout ce que j'en ai dit N'était rien que pour rire et vous sonder l'esprit. D'un censeur de
plaisirs ai-je fort l'encolure ? Et Mascarille est-il ennemi de nature ? Vous savez le
contraire, et qu'il est très certain Qu'on ne peut me taxer que d'être trop humain.
Moquez-vous des sermons d'un vieux barbon de père : poussez votre bidet, vous dis-je, et
laissez faire. Ma foi, j'en suis d'avis, que ces pénards chagrins Nous viennent étourdir de
leurs contes badins, Et, vertueux par force, espèrent par envie Oter aux jeunes gens les

plaisirs de la vie. Vous savez mon talent, je m'offre à vous servir.
- Lélie -
Ah ! c'est par ces discours que tu peux me ravir. Au reste, mon amour, quand je l'ai fait
paraître, N'a point été mal vu des yeux qui l'ont fait naître. Mais Léandre, à l'instant, vient
de me déclarer Qu'à me ravir Célie il va se préparer : C'est pourquoi dépêchons, et
cherche dans ta tête Les moyens les plus prompts d'en faire ma conquête. Trouve ruses,
détours, fourbes, inventions, Pour
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