LEscalier dOr | Page 9

Edmond Jaloux
sans doute pour faire le compte quotidien des ames humaines qu'ils avaient rendues imperm��ables.
Le reste de la maison se divisait en appartement bourgeois. Parfois, je voyais se pencher �� une fen��tre l'un ou l'autre de ses habitants. Au troisi��me, c'��tait, d'une part, un vieux couple si uni que, lorsque se montrait la femme, le mari aussit?t accourait et, d'autre part, une famille si nombreuse que je n'avais jamais l'impression que le m��me enfant se penchat sur l'all��ge. Au quatri��me, deux ouvri��res, jeunes et fra?ches, deux soeurs, paraissaient souvent dans l'encadrement de la crois��e; je les regardais et elles me souriaient. Souvent, l'une d'elles, en train de se coiffer, venait jusqu'�� la fen��tre, mais, si elle m'apercevait, elle s'enfuyait aussit?t, toute rougissante de ses ��paules nues.
Cependant, sur le m��me ��tage, le second appartement ne semblait habit�� que la nuit.
Une lampe allum��e y veillait toujours jusqu'�� l'aube.
Cette petite goutte d'or qui s'��teignait si tard excitait mon imagination. J'essayais de me repr��senter l'homme ou la femme qui la prenait pour t��moin de sa vie, de son travail, de ses r��ves ou de ses amours. Il m'arrivait m��me de ne pas me coucher pour surprendre le secret de cette veille. Mais rien ne remuait derri��re les parois de verre qui me cachaient les occupations de l'inconnu. Avant de me mettre au lit, je jetais un coup d'oeil sur la maison endormie; sa fa?ade blanche luisait �� peine dans l'ombre, tout reposait; mais, en face de moi, la petite ��toile scintillait toujours.
Or, un soir, dans ces chambres si singuli��rement d��sertes, malgr�� leur lampe vigilante, j'aper?us un va-et-vient surprenant. Non pas une personne, mais plusieurs passaient et repassaient derri��re les vitres; elles le faisaient avec une rapidit�� extraordinaire, et je finis par comprendre qu'elles dansaient. Ma stupeur fut sans bornes. On dansait dans ces pi��ces, que, sans leur lumi��re, j'eusse pu croire inhabit��es! Je fis vingt suppositions; je me demandai si un nouveau locataire avait remplac�� l'homme ou la femme �� la lampe, ou bien s'il ne louait pas son appartement �� une de ces soci��t��s qui organisent des bals ou des banquets dans les maisons tranquilles du quartier. Mais la platitude de mes inventions augmentait ma d��convenue et ma curiosit��. Vers onze heures, les couples cess��rent de passer devant l'��cran. A minuit, tout s'��teignit, et, une demi-heure apr��s, la petite lampe myst��rieuse se ralluma.
Le lendemain, �� peine lev��, je courus �� ma fen��tre dans l'espoir que mon voisin para?trait �� la sienne. Personne. Plus tard, une musique bizarre mit toute la rue en ��moi. C'��tait un vieil orgue de Barbarie poussif et criard, auquel manquaient des notes et qui, avec des grincements de poulie, des soupirs de b��te malade et des sursauts, d��sossa, pour ainsi dire, un air du Trovatore.
Je d��couvris une singuli��re machine, mont��e sur une voiture tra?n��e par un ane; un cul-de-jatte, attach�� �� un banc parall��le aux brancards, tournait d'une main la manivelle de l'instrument et, de l'autre, conduisait la pauvre b��te. Un singe, habill�� comme un doge, d'une longue robe rouge, et coiff�� d'un bonnet de fourrure, tr��pignait �� l'arri��re de l'��quipage et agitait un tambour de basque. Quelquefois, un sou tombait d'une crois��e, et le petit infirme attendait avec majest�� qu'un passant voul?t bien le ramasser et le lui porter, ce qui ne manquait jamais.
Un spectacle aussi curieux fit appara?tre tous les visages. Les Comptables d'en face surgirent avec leurs registres sous le bras et leurs plumes sur l'oreille; le vieux couple amoureux s'enla?a; autour de la m��re de famille, vingt t��tes rouges se montr��rent, ouvertes du m��me rire b��at qui les transformait en ces tirelires qui ont la forme de pommes. Les deux ouvri��res accoururent, l'une, qui ��tait en corset, se cachant �� demi derri��re sa soeur.
Mais, m��me en cette circonstance m��morable, mon travailleur nocturne ne daigna pas jeter un coup d'oeil sur la rue, et l'infirme s'��loigna avec son Trovatore d��s��quilibr��, son ane docile et son singe de pourpre, sans avoir r��ussi �� le troubler dans son d��tachement supr��me des choses de la chauss��e.

CHAPITRE VI
Qui traite de la pr��vision, de la prudence et de la mod��ration.
"R��fl��chis �� ce que le corps a dit un jour �� la t��te: 'O t��te, puisse la raison ��tre toujours la compagnie de ta cervelle!' " Abou'lkasim Firdousi.
Au moment o�� je sortais, quelqu'un me frappa le bras: Victor Agniel me cherchait. Jamais encore je n'avais vu sur son visage une telle solennit��, ni dans son attitude, plus grave apparat.
--J'ai �� vous parler, me dit-il.
--C'est press��?
--J'ai besoin de vos conseils.
J'avais, le matin m��me, guign�� un livre chez un bouquiniste voisin; le d��sir de le poss��der ne s'��tant pas ��veill�� tout de suite en moi, j'avais pass�� sans m'arr��ter. Mais il m'obs��dait depuis le d��jeuner; je craignais que quelqu'un ne s'en emparat, et je tra?nai mon filleul jusqu'au passage V��rot-Dodat.
Je l'ai d��j�� avou��, j'aime ces
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