(adressant la parole à Élise, en s'en allant du côté par où elle est sortie.)
Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre grâce
au ciel de l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre.
Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout
est renfermé là-dedans ; et "sans dot" tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance,
d'honneur, de sagesse, et de probité.
- Harpagon -
Ah ! le brave garçon ! Voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut avoir un
domestique de la sorte !
ACTE SECOND. ------------
Scène première. - Cléante, La Flèche.
- Cléante -
Ah ! traître que tu es ! où t'es-tu donc allé fourrer ? Ne t'avais-je pas donné ordre... ?
- La Flèche -
Oui, Monsieur ; et je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied ferme : mais monsieur
votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru
le risque d'être battu.
- Cléante -
Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais ; et, depuis que je t'ai vu,
j'ai découvert que mon père est mon rival.
- La Flèche -
Votre père amoureux ?
- Cléante -
Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a
mis.
- La Flèche -
Lui, se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du monde ? Et l'amour
a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui ?
- Cléante -
Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête.
- La Flèche -
Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour ?
- Cléante -
Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver, au besoin, des ouvertures plus aisées
pour détourner ce mariage. Quelle réponse t'a-t-on faite ?
- La Flèche -
Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut essuyer
d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme vous, par les mains des
fesse-matthieux (7).
- Cléante -
L'affaire ne se fera point ?
- La Flèche -
Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant et
plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, et il assure que votre seule physionomie lui a
gagné le coeur.
- Cléante -
J'aurai les quinze mille francs que je demande ?
- La Flèche -
Oui ; mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez
dessein que les choses se fassent.
- Cléante -
T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ?
- La Flèche -
Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de soin à se cacher que
vous ; et ce sont des mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du
tout dire son nom ; et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison
empruntée, pour être instruit par votre bouche de votre bien et de votre famille ; et je ne
doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses faciles.
- Cléante -
Et principalement notre mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le bien.
- La Flèche -
Voici quelques articles qu'il a dictés lui-même à notre entremetteur, pour vous être
montrés avant que de rien faire :
"Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que l'emprunteur soit majeur et d'une
famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras, on fera une
bonne et exacte obligation par-devant un notaire, le plus honnête homme qu'il se pourra,
et qui, pour cet effet sera choisi par le prêteur, auquel il importe le plus que l'acte soit
dûment dressé."
- Cléante -
Il n'y a rien à dire à cela.
- La Flèche -
"Le prêteur, pour ne charger Sa conscience d'aucun scrupule, prétend ne donner son
argent qu'au denier dix-huit. (8)"
- Cléante -
Au denier dix-huit ? Parbleu, voilà qui est honnête ! Il n'y a pas lieu de se plaindre.
- La Flèche -
Cela est vrai.
"Mais, comme ledit prêteur n'a pas chez lui la somme dont il est question, et que, pour
faire plaisir à l'emprunteur il est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre sur le pied
du denier cinq (9), il conviendra que ledit premier emprunteur paye cet intérêt, sans
préjudice du reste, attendu que ce n'est que pour l'obliger que ledit prêteur s'engage à cet
emprunt."
- Cléante -
Comment diable ! Quel Juif, quel Arabe est-ce là ? C'est
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