LAvare | Page 8

Molière
il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle regarde comme un mari est fait ; et lorsque la grande raison de "sans dot" s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne.
- Harpagon -
Bon : voilà bien parlé, cela !
- Valère -
Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais.
- Harpagon -
Comment ! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu.
(A élise.)
Oui, tu as beau fuir, je lui donne l'autorité que le ciel me donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.
- Valère -
(A élise.)
Après cela, résistez à mes remontrances.
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Scène X. - Harpagon, Valère.

- Valère -
Monsieur, je vais la suivre, pour continuer les le?ons que je lui faisais.
- Harpagon -
Oui, tu m'obligeras. Certes...
- Valère -
Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.
- Harpagon -
Cela est vrai. Il faut...
- Valère -
Ne vous mettez pas en peine, je crois que j'en viendrai à bout.
- Harpagon -
Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout à l'heure.
- Valère -
(adressant la parole à élise, en s'en allant du c?té par où elle est sortie.)
Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre grace au ciel de l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans ; et "sans dot" tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse, et de probité.
- Harpagon -
Ah ! le brave gar?on ! Voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut avoir un domestique de la sorte !

ACTE SECOND. ------------

Scène première. - Cléante, La Flèche.

- Cléante -
Ah ! tra?tre que tu es ! où t'es-tu donc allé fourrer ? Ne t'avais-je pas donné ordre... ?
- La Flèche -
Oui, Monsieur ; et je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied ferme : mais monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru le risque d'être battu.
- Cléante -
Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais ; et, depuis que je t'ai vu, j'ai découvert que mon père est mon rival.
- La Flèche -
Votre père amoureux ?
- Cléante -
Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis.
- La Flèche -
Lui, se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du monde ? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens batis comme lui ?
- Cléante -
Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête.
- La Flèche -
Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour ?
- Cléante -
Pour lui donner moins de soup?on, et me conserver, au besoin, des ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse t'a-t-on faite ?
- La Flèche -
Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut essuyer d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-matthieux (7).
- Cléante -
L'affaire ne se fera point ?
- La Flèche -
Pardonnez-moi. Notre ma?tre Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, et il assure que votre seule physionomie lui a gagné le coeur.
- Cléante -
J'aurai les quinze mille francs que je demande ?
- La Flèche -
Oui ; mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.
- Cléante -
T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ?
- La Flèche -
Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de soin à se cacher que vous ; et ce sont des mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom ; et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison empruntée, pour être instruit par votre bouche de votre bien et de votre famille ; et je ne doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses faciles.
- Cléante -
Et principalement notre mère étant morte, dont on ne peut m'?ter le bien.
- La Flèche -
Voici quelques articles qu'il a dictés lui-même à notre entremetteur, pour vous être montrés avant que de rien faire :
"Supposé que le prêteur voie toutes ses s?retés, et que l'emprunteur soit majeur et d'une famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras, on fera une bonne et exacte obligation par-devant un notaire, le plus honnête homme qu'il se pourra, et qui, pour cet effet sera choisi
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