LArchipel en feu | Page 8

Jules Verne
cul-de-sac du golfe. Il n'y poussait ni orangers, citronniers, ��glantiers, lauriers-roses, jasmins de l'Argolide, figuiers, arbousiers, m?riers, ni rien de ce qui fait de certaines parties de la Gr��ce une riche et verdoyante campagne. Pas un ch��ne-vert, pas un platane, pas un grenadier, tranchant sur le sombre rideau des cypr��s et des c��dres. Partout des roches qu'un prochain ��boulement de ces terrains volcaniques pourra bien pr��cipiter dans les eaux du golfe. Partout une sorte d'apret�� farouche sur cette terre du Magne, insuffisante nourrici��re de sa population. �� peine quelques pins d��charn��s, grima?ants, fantasques, dont on a ��puis�� la r��sine, auxquels manque la s��ve, montrant les profondes blessures de leurs troncs. ?�� et l��, de maigres cactus, v��ritables chardons ��pineux, dont les feuilles ressemblent �� de petits h��rissons �� demi pel��s. Nulle part, enfin, ni aux arbustes rabougris, ni au sol, form�� de plus de gravier que d'humus, de quoi nourrir ces ch��vres que leur sobri��t�� rend peu difficiles, cependant.
Apr��s avoir fait une vingtaine de pas, Nicolas Starkos s'arr��ta de nouveau. Puis, il se retourna vers le nord-est, l�� o�� la cr��te ��loign��e du Tayg��te tra?ait son profil sur le fond moins obscur du ciel. Une ou deux ��toiles, qui se levaient �� cette heure, y reposaient encore, au ras de l'horizon, comme de gros vers luisants.
Nicolas Starkos ��tait rest�� immobile. Il regardait une petite maison basse, construite en bois qui occupait un renflement de la falaise �� une cinquantaine de pas. Modeste habitation, isol��e au- dessus du village, �� laquelle on n'arrivait que par d'abrupts sentiers, batie au milieu d'un enclos de quelques arbres �� demi d��pouill��s, entour�� d'une haie d'��pines. Cette demeure, on la sentait abandonn��e depuis longtemps. La haie, en mauvais ��tat, ici touffue, l�� trou��e, ne lui faisait plus une barri��re suffisante pour la prot��ger. Les chiens errants, les chacals, qui visitent quelquefois la r��gion, avaient plus d'une fois ravag�� ce petit coin du sol maniote. Mauvaises herbes et broussailles, c'��tait l'apport de la nature en ce lieu d��sert, depuis que la main de l'homme ne s'y exer?ait plus.
Et pourquoi cet abandon? C'est que le possesseur de ce morceau de terre ��tait mort depuis bien des ann��es. C'est que sa veuve, Andronika Starkos, avait quitt�� le pays pour aller prendre rang parmi ces vaillantes femmes qui marqu��rent dans la guerre de l'Ind��pendance. C'est que le fils, depuis son d��part, n'avait jamais remis le pied dans la maison paternelle.
L��, pourtant, ��tait n�� Nicolas Starkos. L�� se pass��rent les premi��res ann��es de son enfance. Son p��re, apr��s une longue et honn��te vie de marin, s'��tait retir�� dans cet asile, mais il se tenait �� l'��cart de cette population de Vitylo, dont les exc��s lui faisaient horreur. Plus instruit, d'ailleurs, et avec un peu plus d'aisance que les gens du port, il avait pu se faire une existence �� part entre sa femme et son enfant. Il vivait ainsi au fond de cette retraite, ignor�� et tranquille, lorsque, un jour, dans un mouvement de col��re, il tenta de r��sister �� l'oppression et paya de sa vie sa r��sistance. On ne pouvait ��chapper aux agents turcs, m��me aux extr��mes confins de la p��ninsule!
Le p��re n'��tant plus l�� pour diriger son fils, la m��re fut impuissante �� le contenir. Nicolas Starkos d��serta la maison pour aller courir les mers, mettant au service de la piraterie et des pirates ces merveilleux instincts de marin qu'il tenait de son origine.
Depuis dix ans, la maison avait donc ��t�� abandonn��e par le fils, depuis six ans par la m��re. On disait dans le pays, cependant, qu'Andronika y ��tait quelquefois revenue. On avait cru, du moins, l'apercevoir, mais �� de rares intervalles et pour de courts instants, sans qu'elle e?t communiqu�� avec aucun des habitants de Vitylo.
Quant �� Nicolas Starkos, jamais avant ce jour, bien qu'il e?t ��t�� ramen�� une ou deux fois au Magne par le hasard de ses excursions, il n'avait manifest�� l'intention de revoir cette modeste habitation de la falaise. Jamais une demande de sa part sur l'��tat d'abandon o�� elle se trouvait. Jamais une allusion �� sa m��re, pour savoir si elle revenait parfois �� la demeure d��serte. Mais �� travers les terribles ��v��nements qui ensanglantaient alors la Gr��ce, peut-��tre le nom d'Andronika ��tait-il arriv�� jusqu'�� lui -- nom qui aurait d? p��n��trer comme un remords dans sa conscience, si sa conscience n'e?t ��t�� imp��n��trable.
Et cependant, ce jour-l��, si Nicolas Starkos avait relach�� au port de Vitylo, ce n'��tait pas uniquement pour renforcer de dix hommes l'��quipage de la sacol��ve. Un d��sir -- plus qu'un d��sir -- un imp��rieux instinct, dont il ne se rendait peut-��tre pas bien compte, l'y avait pouss��. Il s'��tait senti pris du besoin de revoir, une derni��re fois sans doute, la maison paternelle, de toucher encore du pied ce sol sur lequel s'��taient exerc��s ses premiers pas, de
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