LAbbesse de Castro | Page 8

Stendhal
des amours
faciles, jusqu'au moment o— H‚lŠne revint du couvent de
Castro."Lorsque, peu aprŠs, le grand poŠte Cechino se transporta de
Rome au palais Campireali, pour enseigner les belles lettres … cette
jeune fille, Jules, qui le connaissait, lui adressa une piŠce de vers latins
sur le bonheur qu'avait sa vieillesse de voir de si beaux yeux s'attacher
sur les siens, et une ƒme si pure ˆtre parfaitement heureuse quand il
daignait approuver ses pens‚es. La jalousie et le d‚pit des jeunes filles
auxquelles Jules faisait attention avant le retour d'H‚lŠne rendirent
bient“t inutiles toutes les pr‚cautions qu'il employait pour cacher une
passion naissante, et j'avouerai que cet amour entre un jeune homme de
vingt-deux ans et une fille de dix-sept fut conduit d'abord d'une fa‡on
que la prudence ne saurait approuver. Trois mois ne s'‚taient pas ‚coul‚s
lorsque le seigneur de Campireali s'aper‡ut que Jules Branciforte
passait trop souvent sous les fenˆtres de son palais (que l'on voit encore
vers le milieu de la grande rue qui monte vers le lac)."
La franchise et la rudesse, suites naturelles de la libert‚ que souffrent
les r‚publiques, et l'habitude des passions franches, non encore
r‚prim‚es par les moeurs de la monarchie, se montrent … d‚couvert
dans la premiŠre d‚marche du seigneur de Campireali. Le jour mˆme
o— il fut choqu‚ des fr‚quentes apparitions du jeune Branciforte, il

l'apostropha en ces termes:
- Comment oses-tu bien passer ainsi sans cesse devant ma maison, et
lancer des regards impertinents sur les fenˆtres de ma fille, toi qui n'as
pas mˆme d'habits pour te couvrir? Si je ne craignais que ma d‚marche
ne f–t mal interpr‚t‚e des voisins, je te donnerais trois sequins d'or et tu
irais … Rome acheter une tunique plus convenable. Au moins ma vue
et celle de ma fille ne seraient plus si souvent offens‚es par l'aspect de
tes haillons.
Le pŠre d'H‚lŠne exag‚rait sans doute: les habits du jeune Branciforte
n'‚taient point des haillons, ils ‚taient faits avec des mat‚riaux fort
simples; mais, quoique fort propres et souvent bross‚s, il faut avouer
que leur aspect annon‡ait un long usage. Jules eut l'ƒme si
profond‚ment navr‚e par les reproches du seigneur de Campireali, qu'il
ne parut plus de Jour devant sa maison.
Comme nous l'avons dit, les deux arcades, d‚bris d'un aqueduc antique,
qui servaient de murs principaux … la maison bƒtie par le pŠre de
Branciforte, et par lui laiss‚e … son fils, n'‚taient qu'… cinq ou six
cents pas d'Albano. Pour descendre de ce lieu ‚lev‚ … la ville moderne,
Jules ‚tait oblig‚ de passer devant le palais Campireali; H‚lŠne
remarqua bient“t l'absence de ce jeune homme singulier, qui, au dire de
ses amies, avait abandonn‚ toute autre relation pour se consacrer en
entier au bonheur qu'il semblait trouver … la regarder.
Un soir d'‚t‚, vers minuit, la fenˆtre d'H‚lŠne ‚tait ouverte, la jeune fille
respirait la brise de mer qui se fait fort bien sentir sur la colline
d'Albano, quoique cette ville soit s‚par‚e de la mer par une plaine de
trois lieues. La nuit ‚tait sombre le silence profond; on e–t entendu
tomber une feuille. H‚lŠne, appuy‚e sur sa fenˆtre, pensait peut-ˆtre …
Jules, lorsqu'elle entrevit quelque chose comme l'aile silencieuse d'un
oiseau de nuit qui passait doucement tout contre sa fenˆtre. Elle se retira
effray‚e. L'id‚e ne lui vint point que cet objet p–t ˆtre pr‚sent‚ par
quelque passant: le second ‚tage du palais o— se trouvait sa fenˆtre
‚tait … plus de cinquante pieds de terre. Tout … coup, elle crut
reconnaŒtre un bouquet dans cette chose singuliŠre qui, au milieu d'un
profond silence, passait et repassait devant la fenˆtre sur laquelle elle

‚tait appuy‚e; son coeur battit avec violence. Ce bouquet lui sembla
fix‚ … l'extr‚mit‚ de deux ou trois de ces cannes, espŠce de grands
joncs, assez semblables au bambou, qui croissent dans la campagne de
Rome, et donnent des tiges de vingt … trente pieds. La faiblesse des
cannes et la brise assez forte faisaient que Jules avait quelque
difficult‚ … maintenir son bouquet exactement vis-…-vis la fenˆtre o—
il supposait qu'H‚lŠne pouvait se trouver, et d'ailleurs, la nuit ‚tait
tellement sombre, que de la rue l'on ne pouvait rien apercevoir … une
telle hauteur. Immobile devant sa fenˆtre, H‚lŠne ‚tait profond‚ment
agit‚e. Prendre ce bouquet, n'‚tait-ce pas un aveu? Elle n'‚prouvait
d'ailleurs aucun des sentiments qu'une aventure de ce genre ferait
naŒtre, de nos jours, chez une jeune fille de la haute soci‚t‚,
pr‚par‚e … la vie par une belle ‚ducation. Comme son pŠre et son frŠre
Fabio ‚taient dans la maison sa premiŠre pens‚e fut que le moindre
bruit serait suivi d'un coup d'arquebuse dirig‚ sur Jules, elle eut piti‚ du
danger que courait ce pauvre jeune homme. Sa seconde pens‚e fut que,
quoiqu'elle le conn–t encore bien peu, il ‚tait
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