LAbbesse de Castro | Page 4

Stendhal
conciliŠrent aux brigands le coeur des peuples. On ha‹ssait les
brigands quand ils volaient des chevaux, du bl‚, de l'argent, en un mot,
tout ce qui leur ‚tait n‚cessaire pour vivre; mais au fond le coeur des
peuples ‚tait pour eux; et les filles du village pr‚f‚raient … tous les
autres le jeune gar‡on qui, une fois dans la vie, avait ‚t‚ forc‚ d'andar'
alla machina, c'est-…-dire de fuir dans les bois et de prendre refuge
auprŠs des brigands … la suite de quelque action trop imprudente.
De nos jours encore tout le monde assur‚ment redoute la rencontre des
brigands; mais subissent-ils des chƒtiments, chacun les plaint. C'est que
ce peuple si fin, si moqueur, qui rit de tous les ‚crits publi‚s sous la
censure de ses maŒtres, fait sa lecture habituelle de petits poŠmes qui
racontent avec chaleur la vie des brigands les plus renomm‚s. Ce qu'il
trouve d'h‚ro‹que dans ces histoires ravit la fibre artiste qui vit toujours
dans les basses classes, et, d'ailleurs, il est tellement las des louanges
officielles donn‚es … certaines gens, que tout ce qui n'est pas officiel
en ce genre va droit … son coeur. Il faut savoir que le bas peuple, en
Italie, souffre de certaines choses que le voyageur n'apercevrait jamais,
v‚c–t-il dix ans dans le pays. Par exemple, il y a quinze ans, avant que
la sagesse des gouvernements n'e–t supprim‚ les brigands*, il n'‚tait pas
rare de voir certains de leurs exploits punir les iniquit‚s des

gouverneurs de petites villes. Ces gouverneurs, magistrats absolus dont
la paye ne s'‚lŠve pas … plus de vingt ‚cus par mois, sont naturellement
aux ordres de la famille la plus consid‚rable du pays, qui, par ce moyen
bien simple, opprime ses ennemis. Si les brigands ne r‚ussissaient pas
toujours … punir ces petits gouverneurs despotes, du moins ils se
moquaient d'eux et les bravaient, ce qui n'est pas peu de chose aux yeux
de ce peuple spirituel. Un sonnet satirique le console de tous ses maux,
et jamais il n'oublia une offense. Voil… une autre des diff‚rences
capitales entre l'Italien et le Fran‡ais. * Gasparone, le dernier brigand,
traita avec le gouvernement en 1826; il est enferm‚ dans la citadelle de
Civita-Vecchia avec trente-deux de ses hommes. Ce fut le manque
d'eau sur les sommets des Apennins, o— il s'‚tait r‚fugi‚, qui
l'obligea … traiter. C'est un homme d'esprit, d'une figure assez
revenante.
Au seiziŠme siŠcle, le gouverneur d'un bourg avait-il condamn‚ …
mort un pauvre habitant en butte … la haine de la famille pr‚pond‚rante,
souvent on voyait les brigands attaquer la prison et essayer de d‚livrer
l'opprim‚. De son c“t‚, la famille puissante, ne se fiant pas trop aux huit
ou dix soldats du gouvernement charg‚s de garder la prison, levait …
ses frais une troupe de soldats temporaires. Ceux-ci, qu'on appelait des
bravi, bivaquaient dans les alentours de la prison, et se chargeaient
d'escorter jusqu'au lieu du supplice le pauvre diable dont la mort avait
‚t‚ achet‚e. Si cette famille puissante comptait un jeune homme dans
son sein, il se mettait … la tˆte de ces soldats improvis‚s.
Cet ‚tat de la civilisation fait g‚mir la morale, j'en conviens; de nos
jours on a le duel, l'ennui, et les juges ne se vendent pas; mais ces
usages du seiziŠme siŠcle ‚taient merveilleusement propres … cr‚er des
hommes dignes de ce nom.
Beaucoup d'historiens, lou‚s encore aujourd'hui par la litt‚rature
routiniŠre des acad‚mies, ont cherch‚ … dissimuler cet ‚tat de choses,
qui, vers 1550, forma de si grands caractŠres. De leur temps, leurs
prudents mensonges furent r‚compens‚s par tous les honneurs dont
pouvaient disposer les M‚dicis de Florence, les d'Este de Ferrare, les
vice-rois de Naples, et Un pauvre historien, nomm‚ Giannone, a voulu

soulever un coin du voile; mais, comme il n'a os‚ dire qu'une trŠs petite
partie de la v‚rit‚, et encore en employant des formes dubitatives et
obscures, il est rest‚ fort ennuyeux, ce qui ne l'a pas empˆch‚ de mourir
en prison … quatre-vingt-deux ans, le 7 mars 1758.
La premiŠre chose … faire, lorsque l'on veut connaŒtre l'histoire
d'Italie, c'est donc de ne point lire les auteurs g‚n‚ralement approuv‚s;
nulle part on n'a mieux connu le prix du mensonge, nulle part, il ne fut
mieux pay‚*. * Paul Jove, ‚vˆque de C“me, l'Ar‚tin et cent autres moins
amusants, et que l'ennui qu'ils distribuent a sauv‚s de l'infamie,
Robertson, Roscoe, sont remplis de mensonges. Guichardin se
vendit … C“me Ier, qui se moqua de lui. De nos jours, Colletta et
Pignotti ont dit la v‚rit‚, ce dernier avec la peur constante d'ˆtre destitu‚,
quoique ne voulant ˆtre imprim‚ qu'aprŠs sa mort.
Les premiŠres histoires qu'on ait ‚crites en Italie, aprŠs la grande
barbarie du neuviŠme siŠcle, font d‚j… mention des brigands, et en
parlent comme s'ils eussent exist‚ de
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