LAbbesse de Castro | Page 7

Stendhal
?t? possible. Ce seigneur de Campireali passait pour fort honn?te homme et faisait de grandes charit?s; mais il n'avait nul esprit, ce qui fit que peu … peu il se retira du s?jour de Rome, et finit par passer presque toute l'ann?e dans son palais d'Albano. Il s'adonnait … la culture de ses terres situ?es dans cette plaine si riche qui s'?tend entre l… ville et la mer. Par les conseils de sa femme, il fit donner l'?ducation la plus magnifique … son fils Fabio, jeune homme tr?s fier de sa naissance, et … sa fille H?l?ne, qui fut un miracle de beaut?, ainsi qu'on peut le voir encore par son portrait, qui existe dans la collection Farn?se. Depuis que j'ai commenc? … ?crire son histoire, je suis all? au palais Farn?se pour consid?rer l'enveloppe mortelle que le ciel avait donn?e … cette femme, dont la fatale destin?e fit tant de bruit de son temps, et occupe m?me encore la m?moire des hommes. La forme de la t?te est un ovale allong?, le front est tr?s grand, les cheveux sont d'un blond fonc?. L'air de sa physionomie est plut“t gai; elle avait de grands yeux d'une expression profonde, et des sourcils ch?tains formant un arc parfaitement dessin?. Les l?vres sont fort minces, et l'on dirait que les contours de la bouche ont ?t? dessin?s par le fameux peintre Corr?ge. Consid?r?e au milieu des portraits qui l'entourent … la galerie Farn?se, elle a l'air d'une reine. Il est bien rare que l'air gai soit joint … la majest?. * Encore aujourd'hui, cette position singuli?re est regard?e, par le peuple de la campagne de Rome, comme un signe certain de saintet?. Vers l'an 1826, un moine d'Albano fut aper?u plusieurs fois soulev? de terre par la gr?ce divine. On lui attribua de nombreux miracles; on accourait de vingt lieues … la ronde pour recevoir sa b?n?diction; des femmes, appartenant aux premi?res classes de la soci?t?, l'avaient vu se tenant dans sa cellule, … trois pieds de terre. Tout … coup, il disparut.
"Apr?s avoir pass? huit ann?es enti?res, comme pensionnaire au couvent de la Visitation de la ville de Castro, maintenant d?truite, o— l'on envoyait, dans ce temps-l…, les filles de la plupart des princes romains, H?l?ne revint dans sa patrie, mais ne quitta point le couvent sans faire offrande d'un calice magnifique au grand autel de l'?glise. A peine de retour dans Albano, son p?re fit venir de Rome moyennant une pension consid?rable, le c?l?bre po?te Cechino, alors fort ?g?; il orna la m?moire d'H?l?ne des plus beaux vers du divin Virgile, de P?trarque, de l'Arioste et du Dante, ses fameux ?l?ves."
Ici le traducteur est oblig? de passer une longue dissertation sur les diverses parts de gloire que le seizi?me si?cle faisait … ces grands po?tes. Il para?trait qu'H?l?ne savait le latin. Les vers qu'on lui faisait apprendre parlaient d'amour, et d'un amour qui nous semblerait bien ridicule, si nous le rencontrions en 1839; je veux dire l'amour passionn? qui se nourrit de grands sacrifices, ne peut subsister qu'environn? de myst?re, et se trouve toujours voisin des plus affreux malheurs.
Tel ?tait l'amour que sut inspirer … H?l?ne, … peine ?g?e de dix-sept ans, Jules Branciforte. C'?tait un de ses voisins, fort pauvre; il habitait une ch?tive maison b?tie dans la montagne, … un quart de lieue de la ville, au milieu des ruines d'Albe et sur les bords du pr?cipice de cent cinquante pieds, tapiss? de verdure, qui entoure le lac. Cette maison, qui touchait aux sombres et magnifiques ombrages de la for?t de la Faggiola, a depuis ?t? d?molie, lorsqu'on a b?ti le couvent de Palazzuola. Ce pauvre jeune homme n'avait pour lui que son air vif et leste, et l'insouciance non jou?e avec laquelle il supportait sa mauvaise fortune. Tout ce que l'on pouvait dire de mieux en sa faveur, c'est que sa figure ?tait expressive sans ?tre belle. Mais il passait pour avoir bravement combattu sous les ordres du prince Colonna et parmi ses bravi, dans deux ou trois entreprises fort dangereuses. Malgr? sa pauvret?, malgr? l'absence de beaut?, il n'en poss?dait pas moins, aux yeux de toutes les jeunes filles d'Albano, le coeur qu'il e–t ?t? le plus flatteur de conqu?rir. Bien accueilli partout, Jules Branciforte n'avait eu que des amours faciles, jusqu'au moment o— H?l?ne revint du couvent de Castro."Lorsque, peu apr?s, le grand po?te Cechino se transporta de Rome au palais Campireali, pour enseigner les belles lettres … cette jeune fille, Jules, qui le connaissait, lui adressa une pi?ce de vers latins sur le bonheur qu'avait sa vieillesse de voir de si beaux yeux s'attacher sur les siens, et une ?me si pure ?tre parfaitement heureuse quand il daignait approuver ses pens?es. La jalousie et le d?pit des jeunes filles auxquelles Jules faisait attention avant le
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