beaucoup entendu parler, mon Camarade, de la prise au tas et de bon bourgeois se seront esclaffés devant cette expression quelque peu vulgaire.
Il faut que le tas--collectif--des richesses produites soit assez considérable pour que tous y trouvent leur part légitime. Or que se passe-t-il aujourd'hui? Des gens, s'appuyant sur ce droit de propriété et sur la constitution illégitime d'un capital, amassent pour eux--des tas--dans lesquels ils puisent au gré de leurs caprices, tandis que des millions d'hommes sont dénués de tout.
Ils sont entourés d'une horde de parasites qui repoussent, à coups de lois et à coups de fusil, ceux qui, mourant de faim, font mine de toucher à ces provendes monstrueuses.
Ces capitalistes s'arrogent le droit de laisser pourrir des denrées--c'est leur pouvoir absolu--alors que des centaines d'hommes en vivraient; ils sont les rois, ils sont les ma?tres, leur caprice est souverain, ils peuvent, quand ils le veulent, à l'heure choisie par eux, décha?ner la misère et la famine sur la collectivité.
Ce sont des propriétaires qui, de par des coutumes admises appuyées sur la force, décident de la vie ou de la mort des masses prolétariennes.
On a voulu nier que ce fussent les capitalistes et eux seuls qui décha?nent la guerre: quel intérêt e?t le peuple allemand à la guerre de 1870? La victoire a augmenté ce qu'on appelle les forces industrielles du pays, c'est-à-dire que se sont constitués un plus grand nombre de groupes capitalistes, fondant d'immenses ateliers, des docks, des usines où les matières nécessaires à la vie, pour ne parler que de celles-là, sont l'objet de tripotages commerciaux qui en décuplent le prix et en rendent l'usage impossible aux prolétaires, parce que l'usinier, le grand industriel, loin de travailler pour la collectivité, ne songe qu'à s'enrichir lui-même--lui et ses actionnaires--au détriment des consommateurs, c'est-à-dire de la grande masse.
Ces entreprises, nous dit-on, fournissent du travail à des millions d'ouvriers: c'est réel, seulement ce travail même auquel on est forcé d'avoir recours donne lieu à une rémunération calculée si avarement que l'ouvrier y trouve à peine de quoi ne pas mourir. Que lui importe la prospérité d'un pays qui ne se traduit que par des budgets impériaux ou des bilans de fortunes particulières, alors que lui-même est toujours pauvre, misérable et sacrifié?
* * *
Qu'il se révolte, qu'il s'empare des matières premières, des usines, qu'il les emploie au bénéfice de la collectivité, c'est la justice.
Mais la propriété, mais le capital ont de longue date pris leurs précautions.
Donnant au groupement des propriétés le nom de patrie, ils ont su inspirer à la foule une sorte de religieuse passion pour une entité invisible qu'ils abritent sous un symbole ridicule, le drapeau.
Le troupeau humain, bête et sentimental, abruti depuis des siècles par l'idée de providence et de droits acquis, s'est laissé prendre à cette fantasmagorie de mensonges, et il admire les armées, brillantes, bruyantes, violentes, qui ont pour mission de défendre les propriétés et les capitaux des accapareurs contre d'autres accapareurs non moins déshonnêtes qu'eux-mêmes.
On invoque pour justifier l'idée de patrie et l'existence des armées la nécessité de la défense légitime: le raisonnement serait juste si les masses prolétariennes étaient appelées au service militaire pour défendre un bien-être acquis et satisfaisant. Mais en est-il ainsi? Que telle nation en écrase une autre, le régime propriétaire et capitaliste en sera-t-il modifié, et la collectivité recouvrera-t-elle ses droits confisqués par les individus?
Point. Victorieuse ou vaincue, toute nation reste soumise au joug de l'exploitation capitaliste, et les arcs de triomphe qu'élèvent les satisfaits ne sont pour la masse que les portes de l'enfer capitaliste.
Seule, la guerre sociale est juste.
Comprends bien, Camarade, je dis sociale--et non civile--parce que la lutte de la justice contre l'iniquité ne se renferme pas dans les limites d'un territoire défini: les exploités du capital--à quelque nation qu'ils appartiennent--sont les adversaires des capitalistes de toutes les nations, sans exception.
La guerre qui a pour but la propriété d'une ville, d'une province, d'un royaume est inique: est juste la guerre qui a pour but l'abolition des privilèges, des exploitations et des spéculations, la reprise de la terre et de ses produits pour la collectivité.
Des alliances peuvent et doivent être conclues entre les exploités de tous les pays--sans souci du nom géographique dont on les affuble--pour jeter bas l'immense et formidable Bastille qui, sous des milliers de formes diverses, symbolise la puissance propriétaire; la patrie du travailleur est partout où le droit règne, elle n'est pas là où l'iniquité est toute-puissante.
Il ne s'agit plus ici d'un territoire quelconque; la patrie a une signification plus haute et profondément humaine. Car la patrie de l'homme, c'est la terre toute entière et elle sera digne de ce titre, c'est-à-dire paternelle à tous, quand, à la suite d'efforts dont le succès ne rentre pas, quoi qu'on en ait dit, dans le domaine des utopies, la terre toute entière sera régie par

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