Lîle des rêves | Page 8

Louis Ulbach
pour ajouter à leur laideur, il se sentit toucher à l'épaule. Michel se retourna brusquement. Il n'e?t pas été trop surpris de se trouver nez à nez avec madame Michel, les désirs et les rêves ayant supprimé la distance.
Mais c'était Pharamond qui, l'oeil brillant et la bouche béante, lui dit:
--Eh bien! capitaine, vous oubliez l'heure. Il est temps de souper. Milord a de l'appétit.
--Ah! ah! c'est vrai. Tout est-il préparé?
--Vous verrez!
--Je ne suis pas sans inquiétude, Pharamond. Ce diable d'original n'aurait qu'à faire quelque coup de sa tête! et si je veux lui donner une petite le?on, je ne tiens pas à l'exposer à un danger sérieux. Au surplus, il ne s'agit que de quelques jours d'épreuve!
--Soyez donc tranquille, capitaine; milord Spleen se trouvera là comme un coq en pate. Aimez-vous mieux qu'il se livre à quelque sottise dont nous souffririons tous, le Cyclope tout le premier?
--Le Cyclope! qu'il y touche!
--Il y touchera, si vous ne trinquez pas ce soir avec lui.
--Je trinquerai; n'aie pas peur. Tu vois, le ciel nous vient en aide!
--Voilà un temps délicieux pour les promenades. A-t-il de la chance cet animal-là!
--Et dire qu'il méconna?t son bonheur! Comprends-tu, mon vieux Pharamond, qu'il est millionnaire, ce coquin-là!
--Mille millions de tonnerres, et il se plaint! je vous le dis, capitaine, il est incorrigible!
--C'est pour cela qu'il est amusant d'essayer de la correction.
Et Michel, qui dans sa belle humeur se départait, sans y penser, de sa dignité de commandant, donna une poignée de main à son matelot, et le quitta pour aller rejoindre sir Olliver. L'Anglais n'avait pas bougé. Quand il vit venir le capitaine, il leva la tête.
--Il n'est pas onze heures?
--Pas encore, milord; mais je suis beau joueur, et je viens m'acquitter.
--Vous consentez?
--Je consens à vous donner les émotions que vous cherchez, répondit Michel, qui ne voulait pas se livrer d'avance, ni mentir tout à fait.
--Enfin voilà donc un homme qui me comprend, dit l'Anglais d'un ton glacial et en serrant avec force la main du capitaine.
Cette fa?on d'épancher sa reconnaissance en gla?ons fit sourire Michel.
--Oui, milord, reprit-il, je consens; je mets une seule condition, c'est que nous viderons ensemble quelques bouteilles d'excellent vin, que je ne me soucie pas de voir noyer. La mer boit mal.
--C'est parfaitement raisonné. Monsieur le capitaine, permettez-moi de vous offrir un cigare.
--Je n'en fume guère, j'ai l'habitude de la pipe; mais puisque c'est la dernière fois que nous fumons ensemble.....
Et Michel, qui avait beaucoup de peine à garder son sérieux, prit un des blonds cigares de sir Olliver, et le mit à ses lèvres.
Tout était préparé dans la chambre du capitaine pour un souper. Une certaine élégance, celle qui tient surtout à l'harmonie des formes entremêlées de bouteilles bien choisies, étonna sir Olliver. La partie solide laissait à désirer; mais le capitaine s'excusa.
--Je n'ai pas eu le temps d'écrire à Paris et de prévenir Chevet, dit-il en montrant un jambon, du fromage et quelques fruits secs.
--Nous n'avons besoin de rien de plus, répliqua courtoisement l'Anglais qui comptait les bouteilles; le prétexte pour boire est suffisant.
--Eh bien! à table; et faisons peur à vos chagrins! Pourvu qu'ils ne sachent pas nager, s'écria Michel qui ne se sentait pas d'aise.
--Je ne comprends plus, demanda sir Olliver.
--Parbleu! c'est bien simple: s'ils ne savent pas nager, ils vont être noyés.
Et le capitaine éclata de rire.
L'Anglais ouvrit la bouche, comme si une douleur aigu? la faisait se contracter. C'était son sourire à lui.
Les deux convives s'attablèrent. On commen?a par interroger une bouteille de tokay.
--Il e?t été dommage de perdre un si bon vin, dit l'Anglais, en reposant son verre vide.
--Il est toujours dommage de perdre l'occasion de trinquer avec un si charmant buveur, reprit Michel qui flattait sir Olliver.
--Je suis ravi de vous voir revenu à de meilleurs sentiments, monsieur le capitaine.
--Oh! vous n'êtes pas au bout!
--Vraiment! que me ménagez-vous encore?
--Plus d'émotion que vous ne pouvez en rêver!
--Ne vous gênez pas, j'ai de l'appétit. Ainsi, capitaine, vous m'abandonnez votre vaisseau?
--Il faut bien faire quelque chose pour vous, dit avec une feinte soumission le brave Michel qui débouchait sa quatrième bouteille. L'Anglais était sans défiance. Il tendit son verre, et porta un toast à madame Michel, à sa famille et aux beaux jours passés du Cyclope. Le capitaine, qui guettait depuis quelques moments l'effet de ces épanchements réels et symboliques, paraissait enchanté du tour que prenait l'humeur de sir Olliver. Il se renversa sur sa chaise, alluma sa pipe avec le tison du cigare, et continua à s'éclairer sur le véritable caractère de la mélancolie anglaise.

IV
Où les événements dépassent les voeux de sir Olliver.
--Ah ?à! milord, demanda Michel, dites-moi donc un peu comment vous vous y prendriez pour le naufrage en question.
--Comment je m'y prendrai? oh! rien de plus simple; vous l'avez dit vous-même, un trou dans la cale! l'eau montera; je monterai avec elle, et quand
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