au moyen d'une double courroie disposée ad hoc.
-- Voilà qui est fait,? dit Frascolin. Puis, s'adressant à l'homme: ?Ainsi, c'est bien entendu... l'aubergiste de Freschal vous enverra du secours... Jusque là, vous n'avez besoin de rien, n'est-ce pas, mon ami?...
-- Si... répond le conducteur, d'un bon coup de gin, s'il en reste dans vos gourdes.? La gourde de Pinchinat est encore pleine, et Son Altesse en fait volontiers le sacrifice. ?Avec cela, mon bonhomme, dit-il, vous n'aurez pas froid cette nuit... à l'intérieur!? Une dernière objurgation du violoncelliste décide ses compagnons à se mettre en route. Il est heureux que leurs bagages soient dans le fourgon du train, au lieu d'avoir été chargés sur le coach. S'ils arrivent à San-Diégo avec quelque retard, du moins nos musiciens n'auront pas la peine de les transporter jusqu'au village de Freschal. C'est assez des bo?tes à violon, et, surtout, c'est trop de l'étui à violoncelle. Il est vrai, un instrumentiste, digne de ce nom, ne se sépare jamais de son instrument, -- pas plus qu'un soldat de ses armes ou un lima?on de sa coquille.
II -- Puissance d'une sonate cacophonique
D'aller la nuit, à pied, sur une route que l'on ne conna?t pas, au sein d'une contrée presque déserte, où les malfaiteurs sont généralement moins rares que les voyageurs, cela ne laisse pas d'être quelque peu inquiétant. Telle est la situation faite au quatuor. Les Fran?ais sont braves, c'est entendu, et ceux-ci le sont autant que possible. Mais, entre la bravoure et la témérité, il existe une limite que la saine raison ne doit pas franchir. Après tout, si le rail-road n'avait pas rencontré une plaine inondée par les crues, si le coach n'avait pas versé à cinq milles de Freschal, nos instrumentistes n'auraient pas été dans l'obligation de s'aventurer nuitamment sur ce chemin suspect. Espérons, d'ailleurs, qu'il ne leur arrivera rien de facheux.
Il est environ huit heures, lorsque Sébastien Zorn et ses compagnons prennent direction vers le littoral, suivant les indications du conducteur. N'ayant que des étuis à violon en cuir, légers et peu encombrants, les violonistes auraient eu mauvaise grace à se plaindre. Aussi ne se plaignent-ils point, ni le sage Frascolin, ni le joyeux Pinchinat, ni l'idéaliste Yvernès. Mais le violoncelliste avec sa bo?te à violoncelle, -- une sorte d'armoire attachée sur son dos! On comprend, étant donné son caractère, qu'il trouve là matière à se mettre en rage. De là, grognements et geignements, qui s'exhalent sous la forme onomatopéique des ah! des oh! des ouf!
L'obscurité est déjà profonde. Des nuages épais chassent à travers l'espace, se trouant parfois d'étroites déchirures, parmi lesquelles appara?t une lune narquoise, presque dans son premier quartier. On ne sait trop pourquoi, sinon parce qu'il est hargneux, irritable, la blonde Phoebé n'a pas l'heur de plaire à Sébastien Zorn. Il lui montre le poing, criant:
?Eh bien, que viens-tu faire là avec ton profil bête!... Non! je ne sais rien de plus imbécile que cette espèce de tranche de melon pas m?r, qui se promène là-haut!
-- Mieux vaudrait que la lune nous regardat de face, dit Frascolin.
-- Et pour quelle raison?... demande Pinchinat.
-- Parce que nous y verrions plus clair.
-- O chaste Diane, déclame Yvernès, ? des nuits paisible courrière, ? pale satellite de la terre, ? l'adorée idole de l'adorable Endymion...
-- As-tu fini ta ballade? crie le violoncelliste. Quand ces premiers violons se mettent à démancher sur la chanterelle...
-- Allongeons le pas, dit Frascolin, ou nous risquons de coucher à la belle étoile...
-- S'il y en avait... et de manquer notre concert à San-Diégo! observe Pinchinat.
-- Une jolie idée, ma foi! s'écrie Sébastien Zorn, en secouant sa bo?te qui rend un son plaintif.
-- Mais cette idée, mon vieux camaro, dit Pinchinat, elle vient de toi...
-- De moi?...
-- Sans doute! Que ne sommes-nous restés à San-Francisco, où nous avions à charmer toute une collection d'oreilles californiennes!
-- Encore une fois, demande le violoncelliste, pourquoi sommes- nous partis?...
-- Parce que tu l'as voulu.
-- Eh bien, il faut avouer que j'ai eu là une inspiration déplorable, et si...
-- Ah!... mes amis! dit alors Yvernès, en montrant de la main certain point du ciel, où un mince rayon de lune ourle d'un liseré blanchatre les bords d'un nuage.
-- Qu'y a-t-il, Yvernès?...
-- Voyez si ce nuage ne se dessine pas en forme de dragon, les ailes déployées, une queue de paon tout oeillée des cent yeux d'Argus!?
Il est probable que Sébastien Zorn ne possède pas cette puissance de vision centuplée, qui distinguait le gardien de la fille d'Inachus, car il n'aper?oit pas une profonde ornière où son pied s'engage malencontreusement. De là une chute sur le ventre, si bien qu'avec sa bo?te au dos, il ressemble à quelque gros coléoptère rampant à la surface du sol.
Violente rage de l'instrumentiste, -- et il y a de quoi rager, -- puis objurgations à l'adresse
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