faire, car il s'y entend. Habitués à ses fa?ons impérieuses, ils en rient lorsqu'elles ?dépassent la mesure?, -- ce qui est regrettable chez un exécutant, ainsi que le faisait observer cet irrespectueux Pinchinat. La composition des programmes, la direction des itinéraires, la correspondance avec les imprésarios, c'est à lui que sont dévolues ces occupations multiples qui permettent à son tempérament agressif de se manifester en mille circonstances. Où il n'intervenait pas, c'était dans la question des recettes, dans le maniement de la caisse sociale, confiée aux soins du deuxième violon et premier comptable, le minutieux et méticuleux Frascolin.
Le quatuor est maintenant présenté, comme il l'e?t été sur le devant d'une estrade. On conna?t les types, sinon très originaux, du moins très distincts qui le composent. Que le lecteur permette aux incidents de cette singulière histoire de se dérouler: il verra quelle figure sont appelés à y faire ces quatre Parisiens, lesquels, après avoir recueilli tant de bravos à travers les états de la Confédération américaine, allaient être transportés... Mais n'anticipons pas, ?ne pressons pas le mouvement!? s'écrierait Son Altesse, et ayons patience.
Les quatre Parisiens se trouvent donc, vers huit heures du soir, sur une route déserte de la Basse-Californie, près des débris de leur ?voiture versée? -- musique de Boieldieu, a dit Pinchinat. Si Frascolin, Yvernès et lui ont pris philosophiquement leur parti de l'aventure, si elle leur a même inspiré quelques plaisanteries de métier, on admettra que ce soit pour le chef du quatuor l'occasion de se livrer à un accès de colère. Que voulez-vous? Le violoncelliste a le foie chaud, et, comme on d?t, du sang sous les ongles. Aussi Yvernès prétend-il qu'il descend de la lignée des Ajax et des Achille, ces deux illustres rageurs de l'antiquité.
Pour ne point l'oublier, mentionnons que si Sébastien Zorn est bilieux, Yvernès flegmatique, Frascolin paisible, Pinchinat d'une surabondante jovialité, -- tous, excellents camarades, éprouvent les uns pour les autres une amitié de frères. Ils se sentent réunis par un lien que nulle discussion d'intérêt ou d'amour- propre n'aurait pu rompre, par une communauté de go?ts puisés à la même source. Leurs coeurs, comme ces instruments de bonne fabrication, tiennent toujours l'accord.
Tandis que Sébastien Zorn peste, en palpant l'étui de son violoncelle pour s'assurer qu'il est sain et sauf, Frascolin s'approche du conducteur:
?Eh bien, mon ami, lui demande-t-il, qu'allons-nous faire, s'il vous pla?t?
-- Ce que l'on fait, répond l'homme, quand on n'a plus ni chevaux ni voiture... attendre...
-- Attendre qu'il en vienne! s'écrie Pinchinat. Et s'il n'en doit pas venir...
-- On en cherche, observe Frascolin, que son esprit pratique n'abandonne jamais.
-- Où?... rugit Sébastien Zorn, qui se démenait fiévreusement sur la route.
-- Où il y en a! réplique le conducteur.
-- Hé! dites donc, l'homme au coach, reprend le violoncelliste d'une voix qui monte peu à peu vers les hauts registres, est-ce que c'est répondre, cela! Comment... voilà un maladroit qui nous verse, brise sa voiture, estropie son attelage, et il se contente de dire: ?Tirez-vous delà comme vous pourrez!...?
Entra?né par sa loquacité naturelle, Sébastien Zorn commence à se répandre en une interminable série d'objurgations à tout le moins inutiles, lorsque Frascolin l'interrompt par ces mots:
?Laisse-moi faire, mon vieux Zorn.? Puis, s'adressant de nouveau au conducteur: ?Où sommes-nous, mon ami?...
-- à cinq milles de Freschal.
-- Une station de railway?...
-- Non... un village près de la c?te.
-- Et y trouverons-nous une voiture?...
-- Une voiture... point... peut-être une charrette...
-- Une charrette à boeufs, comme au temps des rois mérovingiens! s'écrie Pinchinat.
-- Qu'importe! dit Frascolin.
-- Eh! reprend Sébastien Zorn, demande-lui plut?t s'il existe une auberge dans ce trou de Freschal... J'en ai assez de courir la nuit...
-- Mon ami, interroge Frascolin, y a-t-il une auberge quelconque à Freschal?...
-- Oui... l'auberge où nous devions relayer.
-- Et pour rencontrer ce village, il n'y a qu'à suivre la grande route?...
-- Tout droit.
-- Partons! clame le violoncelliste.
-- Mais, ce brave homme, il serait cruel de l'abandonner là... en détresse, fait observer Pinchinat. Voyons, mon ami, ne pourriez- vous pas... en vous aidant...
-- Impossible! répond le conducteur. D'ailleurs, je préfère rester ici... avec mon coach... Quand le jour sera revenu, je verrai à me sortir de là...
-- Une fois à Freschal, reprend Frascolin, nous pourrions vous envoyer du secours...
-- Oui... l'aubergiste me conna?t bien, et il ne me laissera pas dans l'embarras...
-- Partons-nous?... s'écrie le violoncelliste, qui vient de redresser l'étui de son instrument.
-- à l'instant, réplique Pinchinat. Auparavant, un coup de main pour déposer notre conducteur le long du talus...?
En effet, il convient de le tirer hors de la route, et, comme il ne peut se servir de ses jambes fort endommagées, Pinchinat et Frascolin le soulèvent, le transportent, l'adossent contre les racines d'un gros arbre dont les basses branches forment en retombant un berceau de verdure.
?Partons-nous?... hurle Sébastien Zorn une troisième fois, après avoir assujetti l'étui sur son dos,
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