vanité. Tel un dieu, dans l'or et le chatoiement de son uniforme, il attirait à soi tous les enthousiasmes et toutes les déférences; il les acceptait en bloc, comme son d?, sans faire la moindre attention à la qualité de l'encens qu'on lui br?lait sous le nez, et s'inquiétant peu du zèle ou de la foi des thuriféraires, pourvu qu'il fussent en nombre. Mme Maubart avait rêvé d'être la grande-prêtresse de l'idole; et la divinité se suffisait à elle-même, préférait l'extension du culte à son raffinement, ne voulait point d'intermédiaire entre sa toute-puissance et ses adorateurs. Toutes les admirations, toutes les obéissances, toutes les flatteries, allaient au mari; les plus hautes et les plus humbles, celles des puissances et celles des domestiques; celles aussi, de son enfant. Et, dans ce concert de louanges et d'exclamations ravies, la voix de l'épouse ne se distinguait pas. Son admiration totale, son amour complet, que rien n'avait pu entamer, ne comptaient guère, leur valeur toute spéciale restant inappréciée, insoup?onnée, perdue dans l'énorme et continuel tribut d'adulations qu'on déposait aux pieds du ma?tre... Il arriva, et il devait arriver, que cette situation de femme incomprise ou dédaignée qui était celle de Mme Maubart, fut soup?onnée, devinée; et que des gens peu scrupuleux cherchèrent à l'exploiter à leur avantage. Je ne dirai pas combien de fois Mme Maubart, dont la beauté était encore dans tout son éclat lorsqu'elle mourut, à l'age de trente-neuf ans, eut à se défendre contre les entreprises de personnages qui lui apportaient, en même temps que l'expression de leur compassion, l'offre de consolations possibles. Je ne dirai pas comment elle réussit à écarter ces sympathies intéressées. Il advint pourtant qu'elle ne put parvenir à décourager les tentatives d'un homme fort bien en cour, mais que la brutalité de son caractère et le peu d'urbanité de ses manières laissaient insensible aux mille artifices de la diplomatie féminine. Cet homme, le général de Rahoul, poursuivit pendant longtemps Mme Maubart de ses obsessions; un jour même, oubliant toute retenue, il fut près de la compromettre. Mme Maubart crut devoir avertir son mari et lui demander d'intervenir. Le commandant Maubart, soit qu'il ne cr?t pas qu'on p?t lui réserver l'affront qu'il avait infligé à tant d'autres, soit qu'il e?t quelques raisons particulières de ménager le général de Rahoul, soit pour toute autre cause, ne jugea pas à propos de s'émouvoir. Mis par sa femme en demeure d'agir, il refusa net. C'est alors que Mme Maubart, placée brutalement en présence de la réalité, voyant s'évanouir les dernières illusions qui masquaient l'inutilité de son existence, prit le parti d'en finir avec la vie... On peut croire que la mort de Mme Maubart fut facheuse pour son mari...?
* * * * *
Elle le fut surtout pour moi. Je suis certain que ma mère, si elle avait vécu, aurait fait tous ses efforts pour m'empêcher d'entrer dans l'armée, et sans doute aurait-elle réussi. Le souvenir qui m'est resté d'elle n'est qu'un souvenir de réverbération, pour ainsi dire; mais je comprends, même en laissant à part les témoignages de personnes qui l'ont bien connue et qui confirment mes suppositions, combien il lui aurait été douloureux de voir son fils choisir un genre d'existence qu'elle avait appris à ha?r et auquel elle imputait tous les déboires, toutes les humiliations et toutes les souffrances qui rendirent sa vie misérable. Elle f?t peut-être parvenue, aussi, à m'inculquer quelques-uns de ces sentiments humains dont l'or d'une paire d'épaulettes compense mal la privation; et dont l'absence fit de ma vie, en dépit des apparences, quelque chose d'aussi discordant, instable et tourmenté que les éléments peu cohérents qui constituent mon caractère. Ces sentiments, il me fut impossible, à moi comme à beaucoup d'autres, de les acquérir plus tard.
Bien des gens ont passé dans mon existence, et j'ai traversé l'existence de bien des gens. Ils entrèrent dans ma vie comme on pénètre dans un monument dont la structure ou la réputation vous intéresse, et où l'on n'ose point rester parce que la température n'y est pas normale, parce qu'il y fait trop froid on trop chaud, parce qu'on y redoute une bronchite ou une attaque d'apoplexie. J'entrai dans la leur par désoeuvrement; par curiosité narquoise et défiante, probablement; plut?t (bien que la comparaison ne me plaise point) comme le serpent qui se glisse dans une habitation par besoin de chaleur et de bien-être, et demeure prêt à mordre s'il est dérangé--peut-être parce que sa digestion et son sommeil sont les seules manifestations possibles de sa gratitude et de son affection.--Il y a des êtres à sang froid pour lesquels l'indifférence est un état naturel que solidifient encore de rares crises d'émotion, et qui ne peuvent se charger longtemps du faix des sentiments. Pour moi, je me suis toujours vu forcé de me débarrasser rapidement de ce fardeau; de
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