Lépaulette | Page 8

Georges Darien
primesautier, trop instinctif. Ces efforts, d'ailleurs, restèrent vains. Nous avons déjà dit quelques mots de la regrettable affaire dont furent cause, à Milan, en 1859, ses relations avec une dame de l'aristocratie italienne; nous ne reviendrons pas sur ce pénible sujet, et nous ne ferons qu'une allusion fort discrète aux rumeurs--corroborées, hélas! par des faits significatifs--qui attribuèrent longtemps à M. Maubart une place spéciale dans les affections de Mme de L.-M., la femme d'un des généraux qui, à l'heure actuelle, sont à la tête de l'armée fran?aise. La naissance de son fils, en 1862, n'attacha pas plus sérieusement M. Maubart au foyer conjugal. Bien qu'on ne paisse lui reprocher d'avoir usé d'aucun mauvais traitement à l'égard de sa femme, on peut avancer qu'il la faisait beaucoup souffrir, indirectement. L'incorrigible légèreté de M. Maubart, ses infidélités constantes et trop peu dissimulées, avaient assombri l'esprit de Mme Maubart, et peut-être même porté atteinte à ses facultés mentales. Cela seul suffirait à expliquer la mort soudaine de cette dame, mort demeurée toujours quelque peu mystérieuse, qui offrit toutes les apparences du suicide, et...?
J'interromps ici la citation, car le second officier a justement écrit, au sujet de la mort de ma mère, quelques lignes qui ne sont point sans intérêt. Les voici:
?La mort de Mme Maubart, survenue vers la fin de 1869, a été le sujet de bien des discussions, d'ailleurs parfaitement oiseuses. Cette dame s'est donné la mort, s'est empoisonnée. Le fait est hors de doute. Il ne fut point constaté officiellement, c'est certain, et l'autopsie ne fut même pas ordonnée; mais tout cela ne prouve rien. La situation du mari, l'intérêt de la famille, exigeaient qu'on fit, autour de ce malheureux événement, le moins de bruit possible. Quant aux raisons qui poussèrent Mme Maubart à mettre elle-même un terme à son existence, on s'est accordé à les trouver dans la continuelle inconstance de son époux. Mme Maubart, en somme, se serait donné la mort parce qu'elle était jalouse de son mari; par jalousie impuissante. Telle n'est point mon opinion. Que Mme Maubart ait été jalouse de son mari, je ne le nie point; qu'elle ait souffert de son infidélité, je l'accorde. Pourtant, elle avait supporté pendant des années les écarts de son conjoint; ces écarts devenaient de moins en moins nombreux; les expansions extra-conjugales de M. Maubart se concentraient, si j'ose m'exprimer ainsi, dans sa liaison presque avouée avec Mme de Lahaye-Marmenteau; cette liaison avait déjà assagi, devait assagir de plus en plus, moraliser en quelque sorte, la vie de M. Maubart. Le général de Lahaye-Marmenteau, en effet, était à cette époque fort malade; il était condamné par les médecins qui l'avaient envoyé passer l'hiver à Nice, sans aucun espoir de l'en voir revenir. On pouvait présumer que Mme de Lahaye-Marmenteau, devenue, veuve, obligerait son amant à la plus grande réserve, et que ce dernier serait enfin forcé de mener, entre sa femme et sa ma?tresse, une existence non pas irréprochable sans doute, mais superficiellement correcte. Mme Maubart, qui avait accepté un partage indéfini, pouvait admettre un partage défini, au moins en désespoir de cause. Je ferai observer, à ce sujet, qu'elle continuait à fréquenter Mme de Lahaye-Marmenteau. Donc, à mon avis, ce n'était point la jalousie en elle-même, dont l'acuité avait été émoussée par le temps, qui aurait pu conduire Mme Maubart à attenter à ses jours. Il faut, pour bien juger les faits, se rendre un compte exact de la situation domestique de cette dame.
?Mme Maubart avait, en fait, toujours vécu isolée, complètement à part soit dans sa famille soit dans la société qu'elle fréquentait; son existence était admise, tolérée plut?t, mais à condition qu'elle ne s'affirmat point. Elle se trouvait dans la situation d'une esclave dont on n'exige rien, qu'on laisse libre, mais qui ne cesse de se sentir esclave; dont les cha?nes sont remplacées par d'énormes étendues d'égo?sme, par d'immenses solitudes d'ames où ne jaillit la source d'aucune affection, où ses cris d'angoisse vont se perdre sans trouver d'écho. Mme Maubart était une nature sentimentale et tendre; s'il en eut été autrement, elle n'aurait pas eu la force d'endurer ce qu'elle eut à souffrir. Elle désirait être aimée, certes; mais ce qu'elle aurait voulu surtout, ce qu'elle souhaitait ardemment, c'était de faire accepter entièrement son amour à elle, l'affection sans bornes qu'elle avait vouée à l'homme qu'elle avait choisi. Et elle sentait que cet homme n'acceptait pas son amour, n'en agréait que des bribes, par-ci par-là; ne le considérait point comme une chose précieuse entre toutes, bien au-dessus de tous les sentiments et de toutes leurs expressions. Plus encore; elle sentait que, l'amour complet dont elle lui faisait offrande, l'homme qu'elle avait choisi ne pouvait point l'accepter. Elle le sentait, lui, blasé, fatigué et comme so?lé d'hommages de toutes sortes, d'admirations innombrables qui semblaient naturelles à son inconsciente
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