y a toujours, même chez le peuple le plus brave, un grand fonds de couardise; il ne faut pas lui donner d'excuses; ou, autrement, ?a va loin. Quand un coquin qui mérite d'être envoyé au bagne n'est pas coiffé du bonnet vert, il y a de grandes chances pour que la lacheté publique, après un cataclysme, aille le chercher afin d'en faire un ministre. La France n'est pas invincible, après tout, et il n'est pas bon qu'elle soit vaincue; parce que... Je l'ai vue après Waterloo. Plus on tombe de haut, plus on s'aplatit. Je n'aime pas à dire ?a, mais c'est la vérité. Quand on supprime le bruit de l'acier dans les camps, on entend trop le bruit de l'or dans les arrière-boutiques--dans toutes les arrière-boutiques.--Pour conserver le sentiment de sa dignité, un homme doit savoir tenir une épée; une nation doit avoir une armée, et s'en servir.--L'humanité! un prétexte à toutes les défaillances qu'on cherche à justifier, à toutes les trahisons qu'on prémédite. Nous aussi, les grognards, nous avons travaillé pour l'humanité, avec nos sabres; nous n'en disions rien; mais les Anglais comprenaient ce que ?a voulait dire, quand nous criions: Vive l'Empereur! Du reste, je n'admets pas cette opposition qu'on aime à établir entre la plume et l'épée; l'une est le complément de l'autre. Le penseur va clouer l'infamie de son époque, comme un hibou, sur les portes du Futur; mais elles ne s'ouvrent pas, ces portes-là; et il faut que le soldat vienne, et les enfonce à coups de canon!
* * * * *
Je me souvenais de cette soirée, avant-hier, pendant que je m'étonnais de la lenteur avec laquelle M. Gabarrot montait la rue du Bac, où il demeure, et où demeurent aussi mes parents, pour me conduire aux Tuileries. Il ne m'a pas grondé, comme d'habitude, quand je me suis arrêté, d'abord au coin du Pont-Royal pour admirer la Frégate, puis sur l'autre quai afin de regarder s'il ne venait pas des soldats du c?té de la place de la Concorde. Mais c'est le matin que passent les soldats, vers dix heures, pour aller relever la garde du Chateau; qu'ils arrivent, avec, en tête, les sapeurs si terribles, le scintillement de l'énorme hache à l'épaule, capara?onnés de tabliers de cuir blanc, coiffés de bonnets velus comme des ours, hauts comme des tours et fleuris de plumets écarlates; alors, la canne merveilleuse du tambour-major s'élance vers le ciel, telle une étrange flèche d'or, tournoie, para?t planer, retombe dans la main du colosse qui suit les sapeurs et dont la tête empanachée domine leurs bonnets à poils; alors, la canne décrit des moulinets épiques, sa grosse pomme étincelle ainsi qu'une boule de feu; elle vibre, elle frémit, elle semble vivante; et alors, elle jaillit de nouveau, glorieuse, si haut cette fois qu'on ne s'attend plus à la voir redescendre. Le géant se retourne vers ses tambours dont les doigt se crispent sur les baguettes, leur donne un ordre, fait volte-face, et, juste à temps, sa main se ferme sur la canne qui retombe et dont le bout brillant, au lieu de toucher la terre, se met à voltiger ainsi qu'un papillon. Les tambours frappent les caisses qui résonnent à vous faire trembler, les sonneries des clairons déchirent l'air, et le bataillon passe dans l'éclat des uniformes et des armes, comme au milieu d'un poudroiement de gloire.
Avant-hier il était beaucoup trop tard pour voir ?a; trois heures après midi au moins. M. Gabarrot était venu longtemps après déjeuner; il est un peu souffrant; un rhume qu'il a pincé le 1er janvier, dit-il, parce qu'il a mis un pardessus, et dont il n'a pu se guérir encore quoique nous soyons aux derniers jours d'avril. Il toussait; et bien qu'il se fut redressé pour passer devant le factionnaire qui lui portait les armes--un voltigeur du régiment de mon père--on e?t dit que sa haute taille se courbait de plus en plus sous la pression d'une invisible main. Il s'est mis à causer avec le gardien en chef du Jardin, un vieil officier d'Afrique qui est son ami; moi je poussais mon cerceau; et lorsqu'il m'arrivait de passer à coté des deux vieux guerriers, je les entendais parler du col de Mouza?a; ou dire qu'Abd-el-Kader était un rude lapin. Quand j'ai été fatigué de courir, j'ai examiné la terrasse du bord de l'eau, où l'on a installé un chemin de fer pour le petit Prince, un si joli petit chemin de fer, sur lequel j'aurais bien voulu aller encore faire un tour; j'avais eu cette chance il n'y avait pas très longtemps, un jour que mon père était de service au Chateau et que le prince conduisait lui-même la locomotive. Ah! quelle joie! Et j'ai regardé tristement le palais où le petit Prince travaillait, s?rement, peut-être dans ce pavillon central sur
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