Lénore et autres ballades | Page 5

Gottfried August Bürger
portèrent à sa dernière
demeure: plus d'une larme suivit le cercueil dans la tombe.
--Oh! malheur! malheur! Il n'est donc plus! Il est mort et enseveli! Oh
mon coeur brise-toi! car tu es coupable.
-Ma fille, prends courage, ne pleure pas, mais élève ta prière vers Dieu.
En vain le chagrin déchire le coeur, en vain les yeux s'éteignent dans
les larmes: cesse donc d'en verser.
--Oh! non, non! respectable frère. Ne blâme pas mes larmes. Il était la
joie de mon coeur. Jamais sur la terre il n'y eut un amant si tendre et si
fidèle!
Laisse-moi pleurer et gémir nuit et jour, jusqu'à ce que mes yeux
s'éteignent dans mes larmes, et que ma langue desséchée bénisse Dieu
en disant: tout est fini...
--Ma fille, prends courage et patience, cesse de pleurer et de gémir.
Quand la violette est cueillie, aucune rosée, aucune pluie bienfaisante
ne peut la réjouir; elle se fane et pour toujours.
Le bonheur s'envole avec la rapidité de l'hirondelle qui fuit sur ses ailes

légères: pourquoi donc retenir ainsi le chagrin qui écrase notre coeur
sous sa masse de plomb; laisse-le s'éloigner! Ce qui est mort est mort!
--Oh! non, non! respectable frère, ne mets point de bornes à ma douleur.
Si je souffrais pour celui que j'aimais tout ce qu'une femme peut
souffrir, ce ne serait pas trop!
Je ne le verrai donc plus! malheureuse! jamais! La tombe le couvre, la
neige et la pluie y tombent: l'herbe siffle sur lui.
Azur de ses yeux rose de ses joues; douceur ineffable de ses lèvres, où
êtes-vous? La tombe a tout dévoré, que le chagrin me dévore à mon
tour!
--Ma fille, ne t'afflige pas ainsi. Ignores-tu que l'homme doit être prêt
au bonheur comme à la peine, et qu'il est exposé à tout?
Tu es aimable et constante, et pourtant peut-être votre union n'eût pas
été heureuse: il était jeune; la jeunesse est changeante comme le temps
d'avril.
--Oh! non, non! respectable frère; ne parle pas ainsi. Mon ami était
fidèle et franc comme l'or: jamais la fausseté n'altéra sa candeur.
Ah! puisque la tombe l'enchaîne dans ses noirs abîmes, je renonce à ma
patrie, j'irai porter au loin le bâton de pèlerinage.
Mais avant, je veux m'agenouiller sur son tombeau, je veux que l'herbe
y croisse plus verte, arrosée de mes larmes et rafraîchie de mes soupirs.
--Ma fille, entre d'abord pour te reposer. Entends-tu le vent mugir
autour de cette enceinte, et la pluie froide retentir sur les vitraux?
--Oh! non, non! respectable frère, ne me retiens pas; laisse tomber la
pluie sur moi, car toute la pluie du ciel ne laverait pas ma faute.
--Ah! ma douce amie, reste et console-toi! Regarde-moi, ne connais-tu
donc pas le frère gris? Hélas! c'est moi qui suis ton ami.

Dans la douleur d'un amour sans espoir, je revêtis ce vêtement. Bientôt
un serment éternel allait exiler ma vie et mes chagrins dans la solitude.
Mais, Dieu soit béni! l'année du noviciat n'est pas encore expirée! Ma
tendre amie, si tu as été sincère et si tu veux me donner ta main, nous
partirons ensemble.
Dieu soit loué! Dieu soit béni! Fuyez chagrins et soucis! Salut, bonheur
et joie: viens, mon ami, viens sur mon coeur. La mort seule pourra nous
séparer.

L'ENLÈVEMENT
«Écuyer, selle mon cheval favori; je veux chercher le repos que je ne
puis trouver dans ce château: j'y suis trop à l'étroit pour pouvoir
respirer» Ainsi s'écriait le chevalier Charles d'Eichenhorst, le coeur
rempli d'un noir pressentiment et agité comme un homme souillé de
quelque forfait.
Il s'élance au galop du haut de la montagne; les étincelles jaillissaient
sous les pieds de son cheval: il jette un regard dans la plaine, et la
suivante de Gertrude se montre à ses yeux. Il frissonne de la tête aux
pieds, comme saisi d'un accès de fièvre brûlante.
«Dieu vous garde, noble seigneur, qu'il vous donne la paix et la
prospérité! Ma pauvre maîtresse m'envoie vers vous pour la dernière
fois, elle est à jamais perdue pour vous. Son père l'a promise au
chevalier Plump, de Poméranie; il lui a donné sa parole.
Charles, s'est-il écrié, j'en jure par ma lance et par mon épée, si tu oses
penser encore à elle, les souterrains de mon château te serviront de
demeure, et les reptiles qui l'habitent seront tes compagnons. Je ne
prendrai de repos ni jour ni nuit avant de t'avoir terrassé, et de t'avoir
arraché le coeur!
La malheureuse fiancée est maintenant devant lui; elle laisse couler ses
larmes et appelle la mort à grands cris. Le Seigneur exaucera bientôt

ses voeux: si vous entendez le glas funèbre des cloches, vous
comprendrez bien leur langage.
Va, dis-lui que je vais mourir, s'écriait-elle tout en pleurs. Porte-lui ce
dernier adieu. Va, sous la garde de
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