Légendes rustiques | Page 7

Georges Sand
de l'eau, il se contenta de dire avec douceur à
celle-ci: «Vraiment, belle dame, vous devriez me laisser passer mon
chemin, car je n'ai point traversé le vôtre pour vous contrarier, et si je

vous ai saluée, c'est par politesse et non par dérision. Si vous souhaitez
des prières ou des messes, faites connaître votre désir, et, foi de
gentilhomme, vous en aurez!»
Alors, M. de La Selle entendit au-dessus de sa tête une voix étrange qui
disait: «Fais dire trois messes pour l'âme du grand Luneau et va en
paix!»
Aussitôt la figure du fantôme s'évanouit, la grise redevint docile et M.
de La Selle rentra chez lui sans obstacle.
Il pensa alors qu'il avait eu une vision; il n'en commanda pas moins les
trois messes. Mais quelle fut sa surprise lorsqu'en ouvrant sa valise, il y
trouva, outre l'argent qu'il avait reçu à la foire, les six cents livres
tournois en écus plats, à l'effigie du feu roi.
On voulut bien dire que le grand Luneau, repentant à l'heure de la mort,
avait chargé son fils Jacques de cette restitution, et que celui-ci, pour ne
pas entacher la mémoire de son père, en avait chargé les demoiselles...
M. de La Selle ne permit jamais un mot contre la probité du défunt, et
quand on parlait de ces choses sans respect en sa présence, il avait
coutume de dire: «L'homme ne peut pas tout expliquer. Peut-être
vaut-il mieux pour ici être sans reproche que sans croyance.»

Les Laveuses de nuit ou Lavandières
A la pleine lune, on voit, dans le chemin de la Font de Fonts (Fontaine
des Fontaines), d'étranges laveuses; ce sont les spectres des mauvaises
mères qui ont été condamnées à laver, jusqu'au jugement dernier, les
langes et les cadavres de leurs victimes.
Maurice SAND.
Voici, selon nous, la plus sinistre des visions de la peur. C'est aussi la
plus répandue; je crois qu'on la retrouve en tous pays.
Autour des mares stagnantes et des sources limpides, dans les bruyères

comme au bord des fontaines ombragées dans les chemins creux, sous
les vieux saules comme dans la plaine brûlée du soleil, on entend,
durant la nuit, le battoir précipité et le clapotement furieux des
lavandières fantastiques. Dans certaines provinces, on croit qu'elles
évoquent la pluie et attirent l'orage en faisant voler jusqu'aux nues, avec
leur battoir agile, l'eau des sources et des marécages. Il y a ici
confusion. L'évocation des tempêtes est le monopole des sorciers
connus sous le nom de meneux de nuées. Les véritables lavandières
sont les âmes des mères infanticides. Elles battent et tordent
incessamment quelque objet qui ressemble à du linge mouillé, mais qui,
vu de près, n'est qu'un cadavre d'enfant. Chacune a le sien ou les siens,
si elle a été plusieurs fois criminelle. Il faut se bien garder de les
observer ou de les déranger car, eussiez-vous six pieds de haut et des
muscles en proportion, elles vous saisiraient, vous battraient dans l'eau
et vous tordraient ni plus ni moins qu'une paire de bas.
Nous avons entendu souvent le battoir des laveuses de nuit résonner
dans le silence autour des mares désertes. C'est à s'y tromper. C'est une
espèce de grenouille qui produit ce bruit formidable. Mais c'est bien
triste d'avoir fait cette puérile découverte et de ne plus pouvoir espérer
l'apparition des terribles sorcières, tordant leurs haillons immondes,
dans la brume des nuits de novembre, à la pâle clarté d'un croissant
blafard reflété par les eaux.
Cependant, j'ai eu l'émotion d'un récit sincère et assez effrayant sur ce
sujet.
Un mien ami, homme de plus d'esprit que de sens, je dois l'avouer, et
pourtant d'un esprit éclairé et cultivé, mais je dois encore l'avouer,
enclin à laisser sa raison dans les pots; très brave en face des choses
réelles, mais facile à impressionner et nourri, dès l'enfance, des
légendes du pays, fit deux rencontres de lavandières qu'il ne racontait
qu'avec répugnance et avec une expression de visage qui faisait passer
un frisson dans son auditoire.
Un soir, vers onze heures, dans une traîne charmante qui court en
serpentant et en bondissant, pour ainsi dire, sur le flanc ondulé du ravin
d'Urmont, il vit, au bord d'une source, une vieille qui lavait et tordait en

silence.
Quoique cette jolie fontaine soit mal famée, il ne vit rien là de
surnaturel et dit à cette vieille: «Vous lavez bien tard, la mère!»
Elle en répondit point. Il la crut sourde et approcha. La lune était
brillante et la source éclairait comme un miroir. Il vit alors
distinctement les traits de la vieille: elle lui était complètement
inconnue, et il en fut étonné, parce qu'avec sa vie de cultivateur, de
chasseur et de flâneur dans la campagne, il n'y avait pas pour lui de
visage inconnu, à plusieurs lieues à la ronde. Voici comme il
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