connu Pompée? Bien des fois, bien souvent,
n'êtes-vous pas montés sur les murailles et les créneaux, sur les fenêtres
et les tours, jusque sur le haut des cheminées, vos enfants dans vos bras;
et là, patiemment assis, n'attendiez-vous pas tout le long du jour pour
voir le grand Pompée traverser les rues de Rome; et de si loin que vous
voyiez paraître son char, le cri universel de vos acclamations ne
faisait-il pas trembler le Tibre au plus profond de son lit, de l'écho de
vos voix répété sous ses rivages caverneux? Et aujourd'hui vous prenez
vos plus beaux vêtements, et vous choisissez ce jour pour un jour de
fête! et aujourd'hui vous semez de fleurs le passage de l'homme qui
vient à vous triomphant du sang de
Pompée![7].--Allez-vous-en.--Courez à vos maisons, tombez à genoux,
priez les dieux de suspendre l'inévitable fléau près d'éclater sur cette
ingratitude.
[Note 7: Après la victoire remportée en Espagne sur les enfants de
Pompée. C'était la première fois que Rome voyait triompher d'une
victoire remportée sur des Romains, et ce fut ce qui commença à
indisposer fortement contre César. Shakspeare place ce triomphe le jour
de cette fête des Lupercales, où Antoine offrit la couronne à César, ce
qui n'eut lieu que plus d'un an après. Il fait de même des Lupercales la
veille des ides de mars, quoique les Lupercales se célébrassent vers le
milieu de février et que les ides fussent le 15 mars.
Voltaire n'a pas bien compris ce passage, et a cru que César triomphait
de la bataille de Pharsale.
Quoi vous couvrez de fleurs le chemin d'un coupable, Du vainqueur de
Pompée encor teint de son sang!]
FLAVIUS.--Allez, allez, bons compatriotes; et pour expier votre faute,
assemblez tous les pauvres gens de votre sorte, conduisez-les au bord
du Tibre; et là, pleurez dans son canal tout ce que vous avez de larmes,
jusqu'à ce que ses eaux, à l'endroit le plus enfoncé de son cours,
caressent le point le plus élevé de son rivage. (Les citoyens sortent.)
Voyez si cette matière grossière n'a pas été émue: ils disparaissent la
langue enchaînée par le sentiment de leur tort.--Vous, descendez cette
rue qui mène au Capitole; moi, je vais suivre ce chemin. Dépouillez les
statues si vous les trouvez parées d'ornements de fête.
MARULLUS.--Le pouvons-nous? Vous savez que c'est aujourd'hui la
fête des Lupercales.
FLAVIUS.--N'importe, ne souffrons pas qu'aucune statue porte les
trophées de César[8]. Je vais parcourir ces quartiers et chasser le peuple
des rues; faites-en de même partout où vous le trouverez attroupé. Ces
plumes naissantes arrachées de l'aile de César ne le laisseront voler qu'à
la hauteur ordinaire; autrement dans son essor, il s'élèverait trop haut
pour être vu des hommes, et nous tiendrait tous dans un servile effroi.
(Ils sortent.)
[Note 8: Ce ne fut point à ce moment, mais après que la couronne eût
été offerte à César, que Flavius et Marullus dépouillèrent ses statues
non pas d'ornements triomphaux, mais des diadèmes dont
quelques-unes avaient été couronnées.]
SCÈNE II
Toujours à Rome.--Une place publique.
Entrent en procession et avec la musique CÉSAR, ANTOINE préparé
pour la course; CALPHURNIA, PORCIA, DÉCIUS, CICÉRON,
BRUTUS, CASSIUS, CASCA.--Ils sont suivis d'une grande multitude
dans laquelle se trouve un devin.
CÉSAR.--Calphurnia!
CASCA.--Holà! silence! César parle[9].
(La musique cesse.)
[Note 9: Voltaire, paix, messieurs; le mot messieurs, qu'il attribue ici à
César, n'a aucun équivalent dans l'original. Voltaire traduit aussi
constamment le my lord par mylord, qui n'en est point la traduction.
Mylord n'est qu'une application particulière que les Anglais font du mot
de lord à la dignité de pair, et qui n'affecte en rien la signification
générale de ce mot, consacré en anglais à exprimer toutes les sortes de
dominations et de dignités, en sorte qu'à moins qu'il ne s'applique à des
pairs d'Angleterre, il doit être traduit, comme tous les autres mots de la
langue, par un équivalent français.]
CÉSAR.--Calphurnia!
CALPHURNIA.--Me voici, mon seigneur.
CÉSAR.--Ayez soin de vous tenir sur le passage d'Antoine, quand il
courra.--Antoine!
ANTOINE.--César, mon seigneur.
CÉSAR.--N'oubliez pas en courant, Antoine, de toucher Calphurnia;
car nos anciens disent que les femmes infécondes, en se faisant toucher
dans cette sainte course, secouent la malédiction qui les rendait stériles.
ANTOINE.--Je m'en souviendrai. Quand César dit: Faites cela, cela est
fait.
CÉSAR.--Partez, et n'omettez aucune cérémonie.
(Musique.)
LE DEVIN.--César!
CÉSAR.--Ha! qui m'appelle?
CASCA, s'adressant à ceux qui l'environnent.--Commandez que tout
bruit cesse. Encore une fois, silence!
(La musique s'arrête.)
CÉSAR.--Qui est-ce, dans la foule, qui m'appelle ainsi? J'entends une
voix, plus perçante que tous les instruments de musique crier César!
Parle, César se tourne pour entendre.
LE DEVIN.--Prends garde aux ides de mars.
CÉSAR.--Quel est cet homme?
BRUTUS.--Un devin qui vous avertit de prendre garde aux ides de
mars.
CÉSAR.--Amenez-le devant moi, que je voie son visage.
CASCA.--Mon ami, sors de la foule,
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